Défense des médias: le temps presse
On peut penser ce qu’on veut des médias, de la presse et des journalistes. En subir l’attention démesurée, les critiquer à juste titre pour un travail orienté ou bâclé, considérer qu’avant c’était mieux, en jouer, les ignorer, tout ça ne modifie en rien l’équation qui aujourd’hui se pose à nous: les médias ont l’obligation de survivre, quel que soit le destin des individus qui les dirigent, qui y écrivent, qui en sont victimes ou qui s’en plaignent. Il y va de l’exigence démocratique. Il en va plus fondamentalement de l’insatiable curiosité qui se niche en chacune et en chacun. Le besoin de comprendre le monde est constitutif d’un être humain, au même titre, à mes yeux, que d’aimer, de rire ou de manger. Il faut bien que quelqu’un raconte des histoires.
Dire que les médias traversent une simple crise équivaut à confondre un incendie avec un feu de cheminée. De tous les fronts, les menaces fondent sur les salles de rédaction. Baisses brutales des recettes publicitaires, désengagement des éditeurs, concurrence des réseaux sociaux, rupture de confiance avec la population, changement des habitudes de consommation, gratuité de l’offre d’information. De mémoire de quinquagénaire, je n’ai pas souvenir d’un secteur économique qui ait eu à affronter autant de difficultés simultanées.
Le monde politique ne reste pas les bras croisés, bien sûr. Ni certains professionnels qui aiment et respectent leur métier. Ainsi, à terme, on ne pourra s’épargner un débat populaire sur l’avenir de nos médias. Quelle presse voulons-nous soutenir, comment, qu’est-on prêt à engager pour que notre paysage médiatique soit divers, surprenant, terreau fertile de l’intelligence et de la connaissance? Au parlement suisse comme dans la société civile, les initiatives se multiplient, pour donner les bases constitutionnelles à la Confédération afin de contribuer directement à la diversité médiatique. Ce débat est indispensable.
En attendant, le temps presse. Nécessité est de trouver des remèdes rapides et consensuels, ou alors on risque de se pencher sur l’avenir des médias au moment de les mettre en terre. Renforcer l’aide publique à la distribution de journaux témoigne de cette volonté de proposer un début de solution qui réunit l’assentiment de tous les acteurs. Des initiatives ont été déposées dans ce sens au parlement suisse qui peuvent, sans trop se compliquer la vie et les finances, garantir un bol d’oxygène d’urgence aux journaux.
S’offre à nous un autre champ d’intervention: la rémunération des contenus rédactionnels par les grandes sociétés que sont Google ou Facebook. A portée de notre capacité d’agir, la révision du droit d’auteur, discutée dès mardi à la commission du Conseil des Etats. Au Conseil national, une proposition déposée par la socialiste Laurence Fehlmann Rielle, qui défendait la rémunération des oeuvres journalistiques, a échoué à la session de décembre. Mais depuis, les fronts se sont élargis. Dans les colonnes du Temps et de la NZZ, le directeur de Ringier Axel Springer (Suisse), Ralf Büchi, a lancé un plaidoyer en faveur des droits voisins pour les éditeurs. Cette prise de position relance le débat. Alors que les GAFA captent 80% des recettes publicitaires, rappelle Ralf Büchi, il n’y a pas de raison qu’ils utilisent des extraits de contenus rédactionnels
(snippets) sans payer de contreparties. En Europe, Commission, Conseil et Parlement débattent âprement de cette question et malgré des divergences entre les pays membres, il est vraisemblable qu’ils adoptent formellement une directive en avril, consacrant l’obligation de rémunération en faveur des éditeurs et des journalistes. En Suisse, on se préparerait donc à adopter une révision de la loi sur le droit d’auteur en mars et qui deviendrait obsolète deux mois plus tard, par rapport à nos voisins européens sur la question de la protection des contenus rédactionnels? Ne serait-ce pas un de ces trains que la Suisse rate, à force de mesurer la longueur des quais? Si les représentants de la branche (syndicats de journalistes et éditeurs) étaient divisés sur la question et attendaient les conclusions des travaux de l’Union européenne, aujourd’hui ils ont décidé, passant outre leurs différends et leurs différences, de saisir cette occasion législative pour demander au parlement d’introduire, dans la loi sur le droit d’auteur en cours de travaux, une législation semblable à celle discutée au sein de l’Union européenne. Cette démarche est à saluer. Je la soutiendrai. ▅
Alors que les GAFA captent 80% des recettes publicitaires, il n’y a pas de raison qu’ils utilisent des extraits de contenus rédactionnels (snippets) sans payer de contreparties