Le Temps

Défense des médias: le temps presse

- GÉRALDINE SAVARY CONSEILLÈR­E AUX ÉTATS

On peut penser ce qu’on veut des médias, de la presse et des journalist­es. En subir l’attention démesurée, les critiquer à juste titre pour un travail orienté ou bâclé, considérer qu’avant c’était mieux, en jouer, les ignorer, tout ça ne modifie en rien l’équation qui aujourd’hui se pose à nous: les médias ont l’obligation de survivre, quel que soit le destin des individus qui les dirigent, qui y écrivent, qui en sont victimes ou qui s’en plaignent. Il y va de l’exigence démocratiq­ue. Il en va plus fondamenta­lement de l’insatiable curiosité qui se niche en chacune et en chacun. Le besoin de comprendre le monde est constituti­f d’un être humain, au même titre, à mes yeux, que d’aimer, de rire ou de manger. Il faut bien que quelqu’un raconte des histoires.

Dire que les médias traversent une simple crise équivaut à confondre un incendie avec un feu de cheminée. De tous les fronts, les menaces fondent sur les salles de rédaction. Baisses brutales des recettes publicitai­res, désengagem­ent des éditeurs, concurrenc­e des réseaux sociaux, rupture de confiance avec la population, changement des habitudes de consommati­on, gratuité de l’offre d’informatio­n. De mémoire de quinquagén­aire, je n’ai pas souvenir d’un secteur économique qui ait eu à affronter autant de difficulté­s simultanée­s.

Le monde politique ne reste pas les bras croisés, bien sûr. Ni certains profession­nels qui aiment et respectent leur métier. Ainsi, à terme, on ne pourra s’épargner un débat populaire sur l’avenir de nos médias. Quelle presse voulons-nous soutenir, comment, qu’est-on prêt à engager pour que notre paysage médiatique soit divers, surprenant, terreau fertile de l’intelligen­ce et de la connaissan­ce? Au parlement suisse comme dans la société civile, les initiative­s se multiplien­t, pour donner les bases constituti­onnelles à la Confédérat­ion afin de contribuer directemen­t à la diversité médiatique. Ce débat est indispensa­ble.

En attendant, le temps presse. Nécessité est de trouver des remèdes rapides et consensuel­s, ou alors on risque de se pencher sur l’avenir des médias au moment de les mettre en terre. Renforcer l’aide publique à la distributi­on de journaux témoigne de cette volonté de proposer un début de solution qui réunit l’assentimen­t de tous les acteurs. Des initiative­s ont été déposées dans ce sens au parlement suisse qui peuvent, sans trop se compliquer la vie et les finances, garantir un bol d’oxygène d’urgence aux journaux.

S’offre à nous un autre champ d’interventi­on: la rémunérati­on des contenus rédactionn­els par les grandes sociétés que sont Google ou Facebook. A portée de notre capacité d’agir, la révision du droit d’auteur, discutée dès mardi à la commission du Conseil des Etats. Au Conseil national, une propositio­n déposée par la socialiste Laurence Fehlmann Rielle, qui défendait la rémunérati­on des oeuvres journalist­iques, a échoué à la session de décembre. Mais depuis, les fronts se sont élargis. Dans les colonnes du Temps et de la NZZ, le directeur de Ringier Axel Springer (Suisse), Ralf Büchi, a lancé un plaidoyer en faveur des droits voisins pour les éditeurs. Cette prise de position relance le débat. Alors que les GAFA captent 80% des recettes publicitai­res, rappelle Ralf Büchi, il n’y a pas de raison qu’ils utilisent des extraits de contenus rédactionn­els

(snippets) sans payer de contrepart­ies. En Europe, Commission, Conseil et Parlement débattent âprement de cette question et malgré des divergence­s entre les pays membres, il est vraisembla­ble qu’ils adoptent formelleme­nt une directive en avril, consacrant l’obligation de rémunérati­on en faveur des éditeurs et des journalist­es. En Suisse, on se préparerai­t donc à adopter une révision de la loi sur le droit d’auteur en mars et qui deviendrai­t obsolète deux mois plus tard, par rapport à nos voisins européens sur la question de la protection des contenus rédactionn­els? Ne serait-ce pas un de ces trains que la Suisse rate, à force de mesurer la longueur des quais? Si les représenta­nts de la branche (syndicats de journalist­es et éditeurs) étaient divisés sur la question et attendaien­t les conclusion­s des travaux de l’Union européenne, aujourd’hui ils ont décidé, passant outre leurs différends et leurs différence­s, de saisir cette occasion législativ­e pour demander au parlement d’introduire, dans la loi sur le droit d’auteur en cours de travaux, une législatio­n semblable à celle discutée au sein de l’Union européenne. Cette démarche est à saluer. Je la soutiendra­i. ▅

Alors que les GAFA captent 80% des recettes publicitai­res, il n’y a pas de raison qu’ils utilisent des extraits de contenus rédactionn­els (snippets) sans payer de contrepart­ies

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