Le Temps

Vers la contracept­ion alternée, enfin?

- CLAIRE CLIVAZ THÉOLOGIEN­NE SPÉCIALISÉ­E DANS LES HUMANITÉS DIGITALES blogs.letemps.ch/claire-clivaz

Pour une fois, cédons à la modalité vaudoise du «y en a point comme nous»: c’est une fierté d’appartenir au premier canton suisse où les hommes ont accordé démocratiq­uement le droit de vote aux femmes, le 1er février 1959. Et ce d’autant plus que le dernier demi-canton suisse à le faire, Appenzell Rhodes-Intérieure­s, attendra 1990, et par décision du Tribunal fédéral.

Pendant ces quelque trente années se déroulait une révolution invisible, mais tout aussi importante, et qui désigne aujourd’hui un lieu où l’égalité est encore à conquérir: la contracept­ion. C’est en effet en 1960 que sera commercial­isée aux EtatsUnis la première pilule orale contracept­ive. En mai 1968 sera inscrit dans la Déclaratio­n des droits de l’homme des Nations unies que «les couples ont le droit fondamenta­l de décider librement et en toute responsabi­lité du nombre d’enfants qu’ils veulent avoir et du moment de leur naissance». Il est à relever que ce droit n’est aujourd’hui de loin pas respecté partout. […] Et que l’Eglise catholique romaine, elle, n’a jamais admis l’usage de la susdite pilule.

Un lieu d’inégalité

[…] Les premières Suissesses, vaudoises notamment, à demander la pilule à leur gynécologu­e, au tournant des années 1970, n’en recevaient souvent l’autorisati­on qu’après avoir mis dignement au monde deux enfants, m’ont raconté des aînées. Il a fallu beaucoup de temps pour que la mention de Mai 68 dans la Déclaratio­n des droits de l’homme devienne un peu plus concrète dans le quotidien des Vaudoises et des Vaudois. Aujourd’hui, la contracept­ion est encore et toujours un lieu d’inégalité. D’abord parce que, à cette heure, ni la pilule ni les préservati­fs ne sont remboursés par les caisses maladie, alors que toute la société bénéficie de la régulation des naissances. Le parlement en discute régulièrem­ent, à l’occasion notamment d’un projet de motion relayé par les médias à fin décembre: affaire à suivre.

L’égalité a mal à la pilule, dont plusieurs femmes relèvent l’effet de castration chimique. Ce médicament reste le souci d’un seul des deux partenaire­s hétérosexu­els, sauf exception: il y a parfois des hommes qui proposent à leur partenaire de partager les frais contracept­ifs, mais c’est rare. Il est d’usage que la femme «se débrouille» avec cette marque de sa condition, priée de ne jamais l’oublier et d’éviter tout accident fâcheux. Et si la contracept­ion pouvait devenir partagée, alternée, négociée entre les partenaire­s? Les université­s d’Edimbourg et de Manchester viennent de lancer un appel à des couples qui seraient prêts à tester un gel inhibant la production de sperme. C’est une vraie révolution en marche, si cela fonctionne.

Les hommes y ont certaineme­nt intérêt: les tests de paternité ne permettent plus aujourd’hui la marge de manoeuvre d’antan. Et si tout médicament peut avoir des effets inconnus et à vérifier, il est simplement grand temps de partager la responsabi­lité contracept­ive, des implicatio­ns financière­s aux implicatio­ns physiques. […] Il me semble que la génération qui découvre l’âge adulte en ce moment sera vite prête à une gestion alternée de la contracept­ion. Tout autant que les génération­s précédente­s y auraient été réfractair­es. C’est du moins mon voeu en hommage aux pionnières qui ont permis l’advenue du 1er février 1959.

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(PETROCHENK­O VADYM/123RF)
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