Le Temps

Une étoile dévoile des briques de vie

- HUGO RUHER @HugoRuher

L’observatio­n de molécules organiques autour d’une étoile livre des indices sur les origines possibles de la vie sur Terre

Une étude publiée dans la revue Nature Astronomy renseigne sur les scénarios expliquant l’apparition de molécules organiques, précurseur­s de la vie, au voisinage de certaines étoiles. L’équipe de Jeong-Eun Lee, professeur au départemen­t d’astronomie à l’Université Kyung Hee en Corée du Sud, a en effet détecté la présence de cinq molécules organiques complexes au voisinage de V883 Orionis, une jeune étoile située à 1300 années-lumière de la Terre.

Détecter des molécules organiques n’a rien d’une sinécure. Lorsqu’elles sont présentes, celles-ci sont disséminée­s autour des étoiles dans ce que les astronomes appellent un disque protoplané­taire. Celui-ci est grossièrem­ent constitué de deux disques concentriq­ues séparés par une ligne de démarcatio­n chimique dissociant les molécules solides des gazeuses. La zone la plus périphériq­ue, la plus grande, contient des molécules organiques sous forme de glace solide qui ne sont pratiqueme­nt pas détectable­s avec les instrument­s actuels. Plus chaude, la partie la plus centrale, mais aussi la plus petite, contient pour sa part ces molécules sous forme gazeuse, plus facilement détectable mais dont la proximité avec l’étoile complique fortement les observatio­ns.

Sursaut stellaire

Pour contourner ce casse-tête, l’astronome et son équipe ont profité d’un phénomène très bref dans la vie d’une étoile: une brusque augmentati­on de sa luminosité, appelée sursaut stellaire, qui dure à peine une centaine d’années. «Ces «bébés étoiles» tels que V883 Orionis brillent plusieurs centaines de fois plus que d’habitude lors du sursaut», explique Jeong-Eun Lee.

Ce phénomène chauffe le disque protoplané­taire, qui voit la ligne de démarcatio­n entre solide et gaz se déplacer vers la périphérie, agrandissa­nt ainsi la zone gazeuse centrale. En faisant fondre une partie de la glace, le sursaut stellaire «rend les molécules organiques plus faciles à observer», ajoute Jeong-Eun Lee, qui a utilisé le radiotéles­cope ALMA au Chili, spécialisé dans la détection d’ondes émises par des objets peu brillants et lointains.

En combinant les optiques sophistiqu­ées de cet instrument avec l’élargissem­ent de la zone gazeuse, l’astronome a détecté la présence de cinq molécules organiques complexes: le méthanol, l’acétone, l’acétaldéhy­de, le formiate de méthyle et l’acétonitri­le, en quantités cohérentes avec celles trouvées dans la comète Chury, sondée en 2014 par la sonde Rosetta et son atterrisse­ur Philae.

Cette étude qui consiste en une rare observatio­n permet d’y voir plus clair. Nicolas Biver est astronome au Laboratoir­e d’études spatiales et d’instrument­ation en astrophysi­que à Paris. Il a travaillé sur la comète Chury, et pour lui les chercheurs ont observé ici des «pré-comètes»: «Cette étude conforte l’idée que les glaces des comètes que l’on connaît se sont formées dans le disque protostell­aire avant la création de notre Soleil. Cela complète bien les études que nous menons sur les comètes.»

Terreau favorable à la vie

V883 Orionis représente ce à quoi ressemblai­t certaineme­nt notre Système solaire dans les premiers temps de son existence. Ce qui conforte la théorie selon

Le disque de formation planétaire qui entoure la jeune étoile V883 Orionis.

laquelle les molécules organiques sont d’abord nées autour du Soleil encore en formation. Certaines auraient été piégées dans des comètes de passage et ont atterri sur la Terre, qui a fourni un terreau favorable pour faire apparaître la vie. Avec une nuance: la vie en tant que telle n’est pas «née» dans l’espace, comme l’explique Nicolas Biver: «Ici, pas de molécules très complexes, pas d’acides aminés, encore moins d’ADN. Ce ne sont que des briques élémentair­es. C’est très prometteur mais il faut de nombreuses autres conditions pour que ces molécules donnent naissance à des organismes vivants.»

La méthode utilisée par JeongEun Lee pourrait toutefois déboucher sur la détection de molécules plus complexes, au voisinage d’autres étoiles du type de V883 Orionis. «Il y a une dizaine de candidates, explique Jeong-Eun Lee, avec des observatio­ns plus précises on pourra sans doute trouver d’autres molécules, et pourquoi pas des bases pouvant donner la vie.»

V883 Orionis représente ce à quoi ressemblai­t certaineme­nt notre Système solaire dans les premiers temps de son existence

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(L. CIEZA/ALMA/EUROPEAN SOUTHERN OBSERVATOR­Y)

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