Au procès des indépendantistes catalans
A Madrid, le Tribunal suprême a commencé hier le processus qui décidera de l’avenir de 12 leaders sécessionnistes catalans. Sous l’oeil de l’Europe entière
JUSTICE Alors que la question catalane enflamme toujours autant les esprits en Espagne, le procès historique de 12 dirigeants indépendantistes s’est ouvert mardi devant le Tribunal suprême de Madrid. Accusés de «sédition» et de «rébellion», ils risquent entre 7 et 25 ans de prison.
t«Decidir nuestro futuro no es delito»: décider de notre avenir n’est pas un délit. Cette banderole, des dizaines de militants séparatistes la brandissaient hier, aux alentours du Tribunal suprême, au coeur de Madrid, alors que débutait le procès le plus décisif en quatre décennies de démocratie espagnole: 12 leaders sécessionnistes catalans sont accusés d’avoir forcé la partition de l’Espagne. Mais les policiers antiémeutes, mobilisés pour l’occasion, n’ont pas autorisé le passage des militants. Tout comme ils ont empêché l’accès à des groupuscules d’extrême droite dont le mot d’ordre était: «Sus aux putschistes catalans!»
Les autorités espagnoles suivent une consigne stricte: alors que quelque 600 journalistes, issus de 170 médias, nationaux ou étrangers, couvrent ce procès-fleuve – il va durer au moins trois mois, à raison de trois jours par semaine –, pas question de laisser se produire le moindre incident. Scrutée par toute l’Europe, et au-delà, l’Espagne se doit – a assuré un porte-parole du gouvernement – d’«offrir l’image d’une démocratie irréprochable». Souhaitant aller dans ce sens et garantir la transparence de l’événement, les sept magistrats du Tribunal suprême ont d’ailleurs donné l’autorisation à ce que l’intégralité de ce procès soit retransmise en direct par les télévisions.
Seize mois après le début des hostilités à Barcelone entre l’exécutif régional de Catalogne et le pouvoir central (dont les points d’orgue furent le référendum d’autodétermination interdit du 1er octobre 2017 et, trois semaines plus tard, une déclaration unilatérale d’indépendance), les autorités espagnoles craignent que la situation empire et entache la réputation d’une nation tout entière. C’est pourquoi, dans les prisons madrilènes d’Alcalá Meco et Soto del Real, où dorment les 12 accusés, le traitement de ces derniers est digne de celui réservé à des invités de marque.
Depuis la répression policière d’octobre 2017, les cercles indépendantistes ont habilement su distiller l’idée que la justice espagnole est à la botte du pouvoir, n’est pas «juste», et qu’il s’agit d’un «procès politique» dans lequel les droits des personnes en examen seraient «bafoués» depuis le début du conflit. Depuis Berlin, où il assiste au festival de cinéma, l’ancien chef du gouvernement séparatiste catalan Carles Puigdemont – qui réside en Belgique pour éviter les poursuites judiciaires qui pèsent sur lui en Espagne – a enragé: «L’Etat espagnol doit immédiatement rectifier et absoudre les accusés!» De son côté, le chef de l’exécutif national, le socialiste Pedro Sánchez, cherchait à rassurer: «Ce procès correspond à la réponse adéquate d’une démocratie à une tentative de déchirer le pays de la part de leaders sécessionnistes. Notre justice est irréprochable et pleinement indépendante.»
La tenue du procès met en exergue deux visions aussi opposées qu’irréconciliables. Le procureur a requis des chefs d’accusation d’une gravité sans précédent contre les 12 personnes mises en examen, assises sur trois rangs dans le Salón des Plenos (la plus grande salle du Tribunal, spécialement aménagée pour l’occasion): «rébellion», «sédition», «désobéissance», «malversations». Cinq d’entre eux, dont l’ancien vice-président catalan Oriol Junqueras et l’ex-présidente du parlement autonome Carme Forcadell, encourent des peines de prison allant de 17 à 25 ans. Selon le Code pénal espagnol, le délit de «rébellion» est qualifié d’extrême gravité, davantage même qu’un homicide.
Aux yeux de l’accusation, comme de la plupart des partis espagnols, il importe que les
A Madrid, la plus grande salle du Tribunal suprême a été aménagée spécialement pour le procès des leaders indépendantistes.
«Ce procès correspond à la réponse adéquate d’une démocratie à une tentative de déchirer le pays de la part de leaders sécessionnistes. Notre justice est irréprochable et pleinement indépendante»
PEDRO SÁNCHEZ, PREMIER MINISTRE ESPAGNOL
magistrats punissent avec sévérité des agissements qui ont «sérieusement menacé l’intégrité territoriale de l’Espagne». Pour le camp indépendantiste, à l’inverse, c’est une parodie de justice. Organiser un référendum et proclamer l’indépendance, même symboliquement, «répondait à la légitime volonté exprimée par le peuple catalan, volonté qui est supérieure aux institutions espagnoles» – selon les termes de l’actuel exécutif séparatiste, à Barcelone. Hier le président catalan, Quim Torra, un proche de l’«exilé» Carles Puigdemont, explosait: «On ne juge pas 12 leaders, mais 2,3 millions de Catalans ayant voté positivement au référendum.» Les sondages indiquent qu’environ 80% des Catalans sont favorables à une consultation; mais seule une petite moitié se proclame indépendantiste.
La stratégie du camp séparatiste est simple: profiter du fait que la communauté internationale s’intéresse à ce procès pour discréditer la justice espagnole. Et recourir après le verdict – sauf dans le cas très improbable d’un non-lieu – à la justice européenne, sur le motif que l’Espagne n’est pas une véritable démocratie. Les magistrats du Tribunal suprême, tout comme le leader socialiste Pedro Sánchez, ont eux à coeur de prouver exactement l’inverse. Il est à parier que les tensions vont s’accentuer au cours du déroulement de ce procès, tant la polarisation est exacerbée. Hier, plusieurs mouvements sécessionnistes avaient interrompu le trafic dans les rues de Barcelone. Quant à l’opposition de droite à Madrid, elle multipliait les messages belliqueux. A l’instar de Pablo Casado, le jeune chef du Parti populaire, qui soufflait ainsi sur les braises: «Tout dialogue avec les séparatistes n’a aucun sens. La seule attitude sensée est de mettre la Catalogne sous tutelle.»
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