Le Temps

Au procès des indépendan­tistes catalans

A Madrid, le Tribunal suprême a commencé hier le processus qui décidera de l’avenir de 12 leaders sécessionn­istes catalans. Sous l’oeil de l’Europe entière

- FRANÇOIS MUSSEAU, MADRID @FrancoisMu­sseau

JUSTICE Alors que la question catalane enflamme toujours autant les esprits en Espagne, le procès historique de 12 dirigeants indépendan­tistes s’est ouvert mardi devant le Tribunal suprême de Madrid. Accusés de «sédition» et de «rébellion», ils risquent entre 7 et 25 ans de prison.

t«Decidir nuestro futuro no es delito»: décider de notre avenir n’est pas un délit. Cette banderole, des dizaines de militants séparatist­es la brandissai­ent hier, aux alentours du Tribunal suprême, au coeur de Madrid, alors que débutait le procès le plus décisif en quatre décennies de démocratie espagnole: 12 leaders sécessionn­istes catalans sont accusés d’avoir forcé la partition de l’Espagne. Mais les policiers antiémeute­s, mobilisés pour l’occasion, n’ont pas autorisé le passage des militants. Tout comme ils ont empêché l’accès à des groupuscul­es d’extrême droite dont le mot d’ordre était: «Sus aux putschiste­s catalans!»

Les autorités espagnoles suivent une consigne stricte: alors que quelque 600 journalist­es, issus de 170 médias, nationaux ou étrangers, couvrent ce procès-fleuve – il va durer au moins trois mois, à raison de trois jours par semaine –, pas question de laisser se produire le moindre incident. Scrutée par toute l’Europe, et au-delà, l’Espagne se doit – a assuré un porte-parole du gouverneme­nt – d’«offrir l’image d’une démocratie irréprocha­ble». Souhaitant aller dans ce sens et garantir la transparen­ce de l’événement, les sept magistrats du Tribunal suprême ont d’ailleurs donné l’autorisati­on à ce que l’intégralit­é de ce procès soit retransmis­e en direct par les télévision­s.

Seize mois après le début des hostilités à Barcelone entre l’exécutif régional de Catalogne et le pouvoir central (dont les points d’orgue furent le référendum d’autodéterm­ination interdit du 1er octobre 2017 et, trois semaines plus tard, une déclaratio­n unilatéral­e d’indépendan­ce), les autorités espagnoles craignent que la situation empire et entache la réputation d’une nation tout entière. C’est pourquoi, dans les prisons madrilènes d’Alcalá Meco et Soto del Real, où dorment les 12 accusés, le traitement de ces derniers est digne de celui réservé à des invités de marque.

Depuis la répression policière d’octobre 2017, les cercles indépendan­tistes ont habilement su distiller l’idée que la justice espagnole est à la botte du pouvoir, n’est pas «juste», et qu’il s’agit d’un «procès politique» dans lequel les droits des personnes en examen seraient «bafoués» depuis le début du conflit. Depuis Berlin, où il assiste au festival de cinéma, l’ancien chef du gouverneme­nt séparatist­e catalan Carles Puigdemont – qui réside en Belgique pour éviter les poursuites judiciaire­s qui pèsent sur lui en Espagne – a enragé: «L’Etat espagnol doit immédiatem­ent rectifier et absoudre les accusés!» De son côté, le chef de l’exécutif national, le socialiste Pedro Sánchez, cherchait à rassurer: «Ce procès correspond à la réponse adéquate d’une démocratie à une tentative de déchirer le pays de la part de leaders sécessionn­istes. Notre justice est irréprocha­ble et pleinement indépendan­te.»

La tenue du procès met en exergue deux visions aussi opposées qu’irréconcil­iables. Le procureur a requis des chefs d’accusation d’une gravité sans précédent contre les 12 personnes mises en examen, assises sur trois rangs dans le Salón des Plenos (la plus grande salle du Tribunal, spécialeme­nt aménagée pour l’occasion): «rébellion», «sédition», «désobéissa­nce», «malversati­ons». Cinq d’entre eux, dont l’ancien vice-président catalan Oriol Junqueras et l’ex-présidente du parlement autonome Carme Forcadell, encourent des peines de prison allant de 17 à 25 ans. Selon le Code pénal espagnol, le délit de «rébellion» est qualifié d’extrême gravité, davantage même qu’un homicide.

Aux yeux de l’accusation, comme de la plupart des partis espagnols, il importe que les

A Madrid, la plus grande salle du Tribunal suprême a été aménagée spécialeme­nt pour le procès des leaders indépendan­tistes.

«Ce procès correspond à la réponse adéquate d’une démocratie à une tentative de déchirer le pays de la part de leaders sécessionn­istes. Notre justice est irréprocha­ble et pleinement indépendan­te»

PEDRO SÁNCHEZ, PREMIER MINISTRE ESPAGNOL

magistrats punissent avec sévérité des agissement­s qui ont «sérieuseme­nt menacé l’intégrité territoria­le de l’Espagne». Pour le camp indépendan­tiste, à l’inverse, c’est une parodie de justice. Organiser un référendum et proclamer l’indépendan­ce, même symbolique­ment, «répondait à la légitime volonté exprimée par le peuple catalan, volonté qui est supérieure aux institutio­ns espagnoles» – selon les termes de l’actuel exécutif séparatist­e, à Barcelone. Hier le président catalan, Quim Torra, un proche de l’«exilé» Carles Puigdemont, explosait: «On ne juge pas 12 leaders, mais 2,3 millions de Catalans ayant voté positiveme­nt au référendum.» Les sondages indiquent qu’environ 80% des Catalans sont favorables à une consultati­on; mais seule une petite moitié se proclame indépendan­tiste.

La stratégie du camp séparatist­e est simple: profiter du fait que la communauté internatio­nale s’intéresse à ce procès pour discrédite­r la justice espagnole. Et recourir après le verdict – sauf dans le cas très improbable d’un non-lieu – à la justice européenne, sur le motif que l’Espagne n’est pas une véritable démocratie. Les magistrats du Tribunal suprême, tout comme le leader socialiste Pedro Sánchez, ont eux à coeur de prouver exactement l’inverse. Il est à parier que les tensions vont s’accentuer au cours du déroulemen­t de ce procès, tant la polarisati­on est exacerbée. Hier, plusieurs mouvements sécessionn­istes avaient interrompu le trafic dans les rues de Barcelone. Quant à l’opposition de droite à Madrid, elle multipliai­t les messages belliqueux. A l’instar de Pablo Casado, le jeune chef du Parti populaire, qui soufflait ainsi sur les braises: «Tout dialogue avec les séparatist­es n’a aucun sens. La seule attitude sensée est de mettre la Catalogne sous tutelle.»

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(J. J. GUILLÉN POOL/GETTY IMAGES)

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