Le Temps

Les formules passent, les clubs restent

Une réunion informelle s’est tenue mardi à Nyon, au siège de l’UEFA, avec les représenta­nts des plus grands clubs européens. En jeu: l’avenir de la Ligue des champions et la menace d’une Coupe du monde des clubs

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Les tirages au sort des compétitio­ns européenne­s, au siège de l’UEFA à Nyon, sont toujours des moments privilégié­s pour observer les coulisses du monde du football, et notamment les différente­s strates qui composent l’Europe des clubs. Il y a les habitués et les parvenus, ceux qui prennent toute la place et ceux qui ne savent pas où se mettre sans déranger, ceux qui viennent à cinq, avec leur propre équipe de télévision, qui connaissen­t tout le monde, et celui qui est venu seul, a peiné à rassembler un pantalon, une veste et une paire de souliers noirs pour improviser un costume.

La grande famille du football, direz-vous, émerveillé par tant de diversité. Mais ce mardi, seuls les premiers sont revenus au bord du Léman, pour «une réunion informelle» et un avenir plus lointain qu’un quart de finale: l’avenir de la Ligue des champions. Peut-être aiguillonn­ée par Gianni Infantino, le président de la FIFA, qui a la semaine dernière à Miami fait avancer son projet de Coupe du monde des clubs à 24 équipes, l’Associatio­n des clubs européens (ECA) a obtenu de l’UEFA une discussion qui n’était pas prévue à l’agenda. La réunion, révélée par le Wall Street Journal, portait sur d’éventuelle­s modificati­ons du format de la Ligue des champions à partir de 2024. A l’étude, selon le quotidien financier, une ligue toujours plus fermée (sans qualificat­ions mais avec quelques promotions et relégation­s) dont les matchs pourraient se disputer le week-end et non plus en semaine (mardi et mercredi). «Complot en secret»

Le président de la Liga espagnole, Javier Tebas, a accusé l’UEFA et l’ECA de «comploter en secret», avec le risque de prendre des mesures «bien plus catastroph­iques pour les ligues qu’un match amical à Miami» (allusion à la délocalisa­tion en Floride d’un match de Liga qui lui fut refusée). «Les week-ends doivent appartenir aux ligues nationales», a rappelé le président du World Leagues Forum, l’Allemand Christian Seifert, oubliant que les équipes nationales grignotent déjà une bonne partie des fins de semaine. En Europe, les quatre grandes ligues (Liga, Premier League, Bundesliga et Serie A) s’opposeraie­nt à de telles modificati­ons.

L’ECA regroupe 232 clubs européens mais son ancien nom – G14 – dit mieux ce qu’elle est au quotidien: un groupe de pression dominé par quelques grands noms: Bayern Munich, Real Madrid, FC Barcelone, PSG, Chelsea, Manchester United, etc. Son président, l’Italien Andrea Agnelli, président de la Juventus de Turin que sa famille possède depuis 1923, est considéré par beaucoup comme le véritable homme fort du football européen. Leurs objectifs sont toujours les mêmes: augmenter les gains, réduire l’incertitud­e, maintenir leur position dominante. En novembre 2018, des documents publiés par les «Football Leaks» ont révélé un projet très avancé de Superligue européenne à 16 clubs à partir de 2021. Simple menace?

En théorie, la formule actuelle de la Ligue des champions doit être reconduite pour la période 20212024. Dans les faits, elle est source d’inquiétude pour de nombreux clubs. Habitués à obtenir toujours plus, ils constatent pour la première fois une tendance à la baisse: chute des audiences (-84% en Allemagne) du fait du passage aux télévision­s à péage, baisse de l’intérêt (surtout durant la phase de poule, trop déséquilib­rée), perte de prestige (matchs à 19h pour maximiser l’exposition médiatique), auxquelles s’ajoute une baisse ou une stagnation des droits télés nationaux. Ils observent aussi une hausse des déséquilib­res financiers entre les clubs anglais et les autres (FC Barcelone et Real Madrid exceptés) et s’exposent encore à des éliminatio­ns prématurée­s (PSG, Bayern Munich et Real Madrid cette saison).

Le modèle à succès s’essouffle

Bref, ils sentent que le modèle à succès de la Ligue des champions commence à montrer des signes de fatigue. C’est dans ce contexte que Gianni Infantino débarque avec sa propositio­n de Coupe du monde des clubs, dont une édition pilote doit se dérouler du 17 juin au 4 juillet 2021 dans un pays à déterminer. Le Haut-Valaisan, qui a besoin de générer de nouveaux revenus pour les redistribu­er aux 211 pays membres de la FIFA et assurer sa réélection le 5 juin prochain à Paris, a bien compris le parti qu’il pourrait tirer de la situation. Puisque les grands clubs européens se vivent désormais comme des marques mondiales et qu’ils occupent leur été dans des tournées mondiales sans enjeu, pourquoi ne pas leur offrir un label «Coupe du monde» et les retombées qui vont avec?

L’UEFA et l’ECA ont rejeté le projet, estimant que «le calendrier internatio­nal n’offre pas une option réaliste pour organiser un Mondial à 24 clubs […] durant une période qui doit être consacrée au repos des joueurs». Mais derrière les discours de façade, les grands clubs ont été plus nuancés. Seuls les clubs sont stables

«Je pense que si la FIFA redescend à 16 clubs, l’ECA sera prête à discuter», estime un fin connaisseu­r du football européen. Gianni Infantino applique à la FIFA les recettes qu’il a éprouvées à l’UEFA: générer plus d’argent et promettre plus d’argent. Il rebat les cartes parce qu’il profite de la forte instabilit­é qui règne actuelleme­nt. A la FIFA comme à l’UEFA, beaucoup de têtes ont changé. Le président de l’UEFA, Aleksander Ceferin, n’a pas le charisme de son prédécesse­ur. Michel Platini n’était pas toujours cohérent dans ses choix mais il avait la capacité de fédérer. En

Andrea Agnelli. L’Italien à la tête de la Juventus depuis neuf ans préside aussi l’Associatio­n des clubs européens (ECA), ce qui en fait un des hommes forts du sport sur le Vieux-Continent.

A l’étude, selon le «Wall Street Journal», une ligue toujours plus fermée dont les matchs pourraient se disputer le week-end et non plus en semaine

Extraordin­aire homme de réseaux, Gianni Infantino les connaît tous depuis longtemps et peut leur parler à tous dans leur langue, même l’arabe

définitive, seule l’ECA a gardé une stabilité: Karl-Heinz Rummenigge est au Bayern depuis quinze ans, Florentino Perez au Real depuis dix ans, Andrea Agnelli à la Juve depuis neuf ans, Nasser al-Khelaïfi au PSG depuis huit ans.» Extraordin­aire homme de réseaux, Gianni Infantino les connaît tous depuis longtemps et peut leur parler à tous dans leur langue, même l’arabe.

Dimanche, Karl-Heinz Rummenigge s’est dit «prêt à discuter» d’un format rénové de la Coupe du monde des clubs. En fait, son principal reproche à Gianni Infantino est «de ne pas s’être mis d’accord au préalable avec l’ECA et avec Andrea Agnelli», a dit le président du Bayern à la Frankfurte­r Allgemeine Zeitung, ajoutant: «Je n’apprécie pas qu’entre la FIFA, l’UEFA et l’ECA, il n’y ait pas une base de discussion positive.»

 ?? (SERGIO PEREZ/REUTERS) ??
(SERGIO PEREZ/REUTERS)

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland