Le Temps

Tim Radjy, le financier qui marie éthique et rentabilit­é

Il a été un pionnier de la finance d’impact. En douze ans, l’ancien banquier a montré qu’on pouvait concilier investisse­ments bénéfiques pour la société et performanc­es financière­s intéressan­tes TIM RADJY

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Qu’est-ce qui est le plus stressant, entre investir pour diminuer la pauvreté dans les pays émergents, améliorer le profil de Genève dans la finance durable, ou se marier? A 43 ans, Tim Radjy mène ces trois chantiers de front sans montrer de tension notable lorsqu’il nous prépare un thé vert, une petite semaine avant le jour J. Concernant son mariage (célébré ce jeudi), l’ancien banquier fait une rapide allusion aux aspects logistique­s, avec une pointe d’excitation-anxiété. Et aussi, en filigrane, le soulagemen­t d’envisager une vie plus posée, après des années à courir le monde.

«Je passe maintenant l’équivalent de trois à quatre mois à l’étranger par an; c’est plus calme que pendant les sept à huit premières années d’AlphaMundi, lorsque je voyageais la moitié du temps», analyse le Genevois, rasé de près, le cheveu gominé, en tenue casual chic sur un canapé sable. Dans cette maison familiale qu’il occupe depuis près de deux ans, la décoration des pièces évoque des lieux particulie­rs, entre Pompéi, la Toscane ou la Route de la soie.

Ethique et rentable

Depuis 2007, AlphaMundi finance des PME qui ont des activités bénéfiques pour la société en Afrique et en Amérique latine. Cela s’appelle de l’investisse­ment d’impact et cela consiste à prêter de l’argent à des entreprise­s comme Terraferti­l, fondée en 2005 en Equateur. Ce fabricant d’en-cas bios à base de groseille du Cap – une grosse cerise jaune péruvienne riche en antioxydan­ts – garantit les prix d’achat aux petits paysans locaux et emploie surtout des femmes célibatair­es, dans des conditions de travail acceptable­s.

Ethique de bout en bout, Terraferti­l est aussi un business rentable. Lorsque AlphaMundi lui octroie son premier prêt en 2010, le chiffre d’affaires est inférieur à 1 million de dollars. Il dépasse 60 millions huit ans plus tard, quand Nestlé en prend le contrôle. Entre-temps, AlphaMundi a empoché entre 9% et 14% d’intérêts par an en dollars.

N’y a-t-il pas une contradict­ion entre ces intérêts élevés et la vocation de soutien de la finance d’impact? «Il ne s’agit pas de philanthro­pie, mais d’un investisse­ment destiné à concilier une économie solidaire, des entreprise­s viables et des rendements attractifs sans lesquels les investisse­urs ne sont pas intéressés», répond Tim Radjy. Son objectif ultime: devenir inutile, c’est-à-dire avoir permis à une jeune pousse d’attirer un investisse­ur plus traditionn­el.

Les premières années sont «un peu galère»: «Personne ne comprenait l’investisse­ment d’impact, il n’existait pas de standard pour mesurer les effets de nos actions et même les entreprise­s que nous cherchions ne savaient pas qu’elles avaient une dimension sociale.» Puis Tim Radjy constitue progressiv­ement une équipe d’une douzaine de collaborat­eurs au Kenya et en Colombie, «avec des compétence­s hybrides dans la finance et le durable d’un côté, des valeurs et le coeur bien accroché de l’autre». Il est le seul basé en Suisse, mais ne sera pas le

gringo de la bande, étant d’origine sud-américaine par sa mère.

Si les risques financiers sont limités par une longue étude des sociétés et une proximité avec les fondateurs, le métier comporte d’autres dangers. Le 15 janvier dernier, un consultant d’AlphaMundi, «avant tout un ami de dix ans», a été l’une des 21 victimes des attentats de Nairobi. «Sa mort est d’une ironie tragique, puisqu’il avait échappé au 11-Septembre en arrivant en retard à son travail. Il avait ensuite décidé de s’orienter vers le développem­ent équitable dans les pays émergents», reprend Tim Radjy, sans mentionner le fonds caritatif qu’il a créé en mémoire du disparu.

S’il s’est lancé dans l’aventure de l’impact investing, c’est d’abord «parce que c’est plus drôle que la banque», sourit l’ancien étudiant en sciences politiques, qu’un ami décrit comme «un bourreau de travail mais toujours disposé à faire la fête ensuite». Passionné d’histoire, l’entreprene­ur a compris que la planète était entrée dans une nouvelle ère. Qu’il fallait agir pour un développem­ent durable, que le secteur public ne pouvait plus financer cette transition ni le privé se limiter à la philanthro­pie. «Si l’on ne fait rien, on paie toujours le prix de l’inaction, même s’il paraît lointain», résume-t-il en référence aux attaques terroriste­s de Nairobi, et aussi peut-être à sa propre histoire familiale.

Entre Bolivie et Iran

Ses grands-parents maternels ont fui l’instabilit­é de la Bolivie des années 1940 pour s’installer à Genève. C’est aussi dans cette ville que son père, Iranien, s’est retrouvé bloqué lorsque tous les visas pour les Etats-Unis ont été gelés suite à la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran au tournant des années 1980. Radjy senior fera carrière aux Nations unies, tandis que la mère de Tim travailler­a notamment pour la Croix-Rouge.

Pour soutenir le rôle de sa ville dans la finance durable, Tim Radjy a créé des prix récompensa­nt les initiative­s ayant obtenu les meilleures performanc­es. Ils seront remis lors d’une conférence qu’il organise en octobre, liée au Social Good Summit Geneva des Nations unies. «Ce sera aussi l’occasion de relier les deux rives de la ville, celle de la finance et celle des organisati­ons internatio­nales», conclut Tim Radjy. De créer un pont symbolique que pour le moment personne n’emprunte. Un nouveau pont à son actif.

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