Le Temps

Nouvelle-Zélande, le sansfaute de Jacinda Ardern

Jacinda Ardern est une personnali­té politique méconnue. Mise en lumière depuis l’attentat commis dans les mosquées de Christchur­ch, elle a connu une ascension fulgurante. Retour sur son parcours

- CHAMS IAZ @IazChams

Elle a refusé de citer le nom du terroriste, remis Facebook à l’ordre, montré beaucoup d’empathie envers la communauté musulmane, déclaré vouloir durcir la loi sur les armes. Après les attentats de Christchur­ch, la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern s’est montrée à la hauteur des nombreuses attentes d’une nation blessée. Portrait.

La réactivité et les mesures proposées par Jacinda Ardern, la première ministre de Nouvelle-Zélande, renvoient une image de femme intrépide. Suite à l’attentat perpétré à Christchur­ch, son empathie et sa déterminat­ion sont soulignées par les médias.

Le 15 mars dernier, un Australien de 28 ans a ouvert le feu dans deux mosquées de cette ville. Le terroriste, présenté comme «un violent extrémiste de droite» par le premier ministre australien, a tué 50 personnes et fait autant de blessés. Il était équipé d’une caméra portative, l’attentat a été retransmis en direct sur son compte Facebook. «Son objectif était de montrer que même cette petite ville tranquille du bout du monde était «envahie» par les musulmans», affirme l’Australien David Camroux, chercheur associé à Sciences-Po CERI. Lors de son premier discours après les attentats, Jacinda Ardern a insisté sur le fait qu’il ne fallait plus nommer l’auteur de ces actes. «Elle refuse ainsi d’inscrire son nom dans les pages de l’histoire, ce que recherchen­t malheureus­ement des gens qui se sentent insignifia­nts», observe René Knüsel, politologu­e et professeur à l’UNIL.

Suite aux attentats, la première ministre a demandé à s’entretenir avec les dirigeants de Facebook pour qu’ils révisent leur outil de diffusion en direct. Le réseau social n’avait en effet interrompu le live de l’assaillant qu’au bout de dix-sept minutes. En vingt-quatre heures, plus d’un million de vidéos de cet attentat ont été supprimées. «Elle est allée jusqu’au bout de sa démarche, car les réseaux sociaux sont une caisse de résonance», constate le politologu­e.

Le lendemain, Jacinda Ardern est allée à la rencontre des proches des victimes. Avec des membres de la communauté musulmane, elle leur a rendu hommage au Wellington’s islamic center, la tête recouverte d’un foulard. «Avec ce geste de respect, elle a transmis une grande compassion. Elle ne leur serrait pas la main, mais les prenait dans ses bras», analyse René Knüsel.

Le 19 mars, pour ouvrir la session parlementa­ire, Jacinda Ardern a adressé un message de paix aux musulmans, qu’elle a commencé avec un «As-salaam alaikum» – «Que la paix soit avec vous». Elle a aussi confirmé sa volonté de durcir les lois sur le port d’arme. Des mesures annoncées «avec une folle déterminat­ion», commente le politologu­e. «Il y aura des opposition­s, car elle entre dans une démarche contradict­oire avec la culture de ce pays.» Pour René Knüsel, cette réaction a un côté «inhabituel, d’une certaine tranquilli­té. Elle a partagé son émotion, mais on ne sentait pas que la situation la dépassait.» La phrase de la première ministre au sujet des victimes, «They are us», a pour lui une portée philosophi­que: «Cela veut dire qu’on reconnaît la différence, mais que malgré elle, ils sont nous. Elle reconnaît l’être humain.»

Même si la cheffe du gouverneme­nt néo-zélandais «donne l’impression d’avoir une grande expérience en politique, il ne faut pas oublier qu’elle n’est élue [au parlement, ndlr] que depuis 2008», rappelle le chercheur australien. Suite à la démission d’Andrew Little, Jacinda Ardern a été nommée à la tête des travaillis­tes en août 2017, «sept semaines avant d’être élue Première ministre. Une ascension fulgurante!», pour David Camroux. Mais avant cela, Jacinda Ardern était déjà active en politique. Membre du parti depuis ses 17 ans, elle a notamment travaillé pour le ministre des Affaires étrangères Phill Goff et a été la conseillèr­e d’Helen Clark, l’ancienne première ministre. Selon David Camroux, cette dernière «a été sans aucun doute son mentor».

En 2006, Jacinda Ardern est partie à New York pour travailler comme volontaire dans une associatio­n qui défend le droit des travailleu­rs. Après quoi elle s’est installée à Londres, où elle a été la conseillèr­e de Tony Blair, alors premier ministre. «En tout, elle cumule plus de sept ans d’expérience au sein de cabinets ministérie­ls», constate David Camroux. En 2007, Jacinda Ardern est élue présidente de l’Union internatio­nale de la jeunesse socialiste. Un poste qui la conduit à voyager en Algérie, en Chine, en Inde, en Israël, en Jordanie et au Liban. C’est cette même année qu’elle décide de rentrer en Nouvelle-Zélande et qu’elle obtient son siège au parlement. A 28 ans.

Fille d’un ancien policier, mormone reconverti­e en agnostique pour protester contre les positions homophobes de ses anciens coreligion­naires, elle licenciée en communicat­ion et DJ (!). Lors des élections, sa première interview télévisée a marqué les esprits. Un journalist­e l’a interrogée sur son futur choix possible entre une carrière politique ou être mère. Ce à quoi elle a répondu: «C’est inacceptab­le que ce genre de question soit encore posée en 2017!» Une réponse qui a propulsé la candidate sur le devant de la scène. Elle est alors devenue une figure de proue du féminisme «et le visage de cette élection à l’internatio­nale.

Jacinda Ardern le 15 mars dernier, avec les proches des victimes des attentats de Christchur­ch.

«Elle a partagé son émotion, mais on ne sentait pas que la situation la dépassait»

RENÉ KNÜSEL, POLITOLOGU­E

Ce qui a certaineme­nt joué en sa faveur. Les médias néo-zélandais ont baptisé cette effervesce­nce de «Jacinda-mania», complète le politologu­e René Knüsel. Comme un pied de nez, sur les marches du parlement, elle choisit de poser pour les photos officielle­s avec son compagnon et ses deux nièces. Après avoir accouché, en juin 2018, elle défraye la chronique en allant à l’ONU avec son enfant.

A 37 ans, Jacinda Ardern est la troisième femme à être élue première ministre du pays. «Elle casse beaucoup de représenta­tions sociales attendues des dirigeants. Elle est surprenant­e, mais je pense qu’elle est intègre», affirme René Knüsel. «Cette mise à profit de la différence est exceptionn­elle. Elle porte des valeurs qui sont moins défendues en Océanie.» Pour David Camroux, Jacinda Ardern est le reflet de «l’image que les Néo-Zélandais ont d’eux-mêmes: diversité, ouverture et unité. Elle a inventé un travaillis­me moderne prenant en compte les revendicat­ions écologique­s et porte aujourd’hui la gauche vers le XXIe siècle.» Tous deux s’accordent à dire que le parcours de Jacinda Ardern est pour le moment «sans fausse note».

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(HAGEN HOPKINS/GETTY IMAGES)

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