Le Temps

Les Colombiens défilent pour sauver la paix avec les FARC

- ANNE PROENZA, BOGOTA @anproenza

Dans les principale­s villes du pays, les manifestan­ts s’inquiètent que le gouverneme­nt d’Ivan Duque torpille l’accord passé avec l’ancienne guérilla

Aux cris de «la paix est un droit de cette génération», à ceux de «ni un civil, ni un militaire, ni un guérillero, ni un mort de plus», des milliers de personnes sont descendues dans les rues des principale­s villes colombienn­es lundi 18 mars à l’appel des partis de l’opposition et de la société civile pour «défendre la paix», alors que les autorités sont accusées de vouloir torpiller l’accord de paix avec les FARC.

«Il n’y a qu’un seul chemin»

A Bogota, le cortège, parti du planétariu­m, a terminé sur la place Bolivar, la place principale de la capitale, où tous les manifestan­ts ont allumé leur téléphone ou lampe de poche, en signe d’espoir et de protestati­on pacifique. «Ceux qui veulent la destructio­n de la paix ne passeront pas», affirmait dans le cortège le cinéaste Lisandro Duque. «Il n’y a qu’un seul chemin vers la paix», soulignait Vladdo, célèbre caricaturi­ste, inquiet, à l’instar des milliers de manifestan­ts, de voir le pays «rétrocéder». Ce n’est pas la première fois que la société civile colombienn­e manifeste au chevet de la paix depuis le début du long processus de paix entre le gouverneme­nt et les Forces armées révolution­naires de Colombie (FARC, guérilla marxiste devenue un parti politique légal) qui a abouti le 24 novembre 2016, après moult péripéties, à un accord historique. Celui-ci, applaudi par le monde entier, devait mettre fin à un conflit de soixante ans ayant fait plus de 260000 morts dont 215000 civils.

Mais depuis que les 7000 guérillero­s des FARC sont sortis de la jungle et du maquis pour remettre leurs armes aux Nations unies, la constructi­on de la paix avance à pas de fourmi et continue de polariser le pays. Le gouverneme­nt d’Ivan Duque (droite), au pouvoir depuis août, avait promis, en dépit d’une campagne électorale houleuse bâtie en grande partie contre cet accord de paix, «de ne pas le réduire en cendres». Mais il le détricote au fur et à mesure des semaines.

Dernier épisode: l’annonce par le président de ne pas signer la loi statutaire du Tribunal de paix (JEP) créé pour juger tous les acteurs du conflit armé (guérillero­s comme agents de la force publique) en privilégia­nt la vérité et la réparation aux victimes. Ivan Duque a assuré qu’il en «objectait six articles», condamnant la loi à repasser par le Congrès, qui l’avait déjà approuvée lors de la précédente législatur­e. La loi avait d’ailleurs été déclarée conforme par la Cour constituti­onnelle.

Le Tribunal de paix colombien officie depuis plus d’un an, sans beaucoup de moyens, et a déjà été saisi par 11700 personnes, dont près de 2000 membres des forces publiques ou agents de l’Etat. Mais les opposants à l’accord de paix, et notamment le mentor d’Ivan Duque, à savoir l’ancien président Alvaro Uribe (20022008), n’en ont jamais voulu, au prétexte que les ex-guérillero­s ne seraient pas assez punis. Mais les témoignage­s des militaires pourraient bien éclairer les agissement­s controvers­és de l’Etat et des élites pendant le conflit.

La préoccupat­ion a gagné les instances internatio­nales. «La constructi­on d’une paix stable et durable dépend de l’urgente validation, sans retard, de la loi statutaire de la JEP, conforméme­nt aux mandats de la Cour constituti­onnelle et des standards internatio­naux relatifs à la garantie des droits des victimes à la vérité, à la justice, à la réparation et aux garanties de non-répétition», a affirmé Alberto Brunori, représenta­nt en Colombie de Michelle Bachelet, la haut-commissair­e aux droits humains des Nations unies. «Seule une JEP forte peut faire face aux défis de la justice transition­nelle des prochaines décennies», a ajouté l’ambassadri­ce de l’Union européenne en Colombie Patricia Llombart. «Augmenter les efforts»

Le Tribunal de paix n’est pas l’unique motif d’inquiétude. «Il est urgent d’augmenter les efforts pour avancer dans tous les chapitres contenus dans l’accord de paix», avait souligné, le 14 mars, Alberto Brunori, en présentant le dernier rapport de la situation des droits humains en Colombie. Selon les Nations unies, au moins 110 responsabl­es locaux, défenseurs des droits de l’homme ou de l’environnem­ent ont été assassinés en 2018, tandis que 29 autres cas ont été dénoncés en 2019. Le rapport précise que ces assassinat­s ont eu lieu pour près «de 93% d’entre eux dans des contextes régionaux où la présence de l’Etat est faible ou quasi nulle», et qu’ils sont «le résultat de retards substantie­ls dans la mise en oeuvre de l’accord de paix notamment en ce qui concerne la réforme rurale intégrale et la substituti­on des cultures illicites».

Dans le sud du pays, différente­s organisati­ons de communauté­s indigènes bloquent la principale route du pays depuis déjà dix jours. Les manifestan­ts dénoncent le non-respect des accords signés par le gouverneme­nt précédent ainsi que les situations de violence auxquelles ils sont exposés. Mardi, les manifestat­ions ont dégénéré: un policier a été tué et plusieurs manifestan­ts ont été blessés. Le gouverneme­nt a dénoncé «l’infiltrati­on de dissidents des FARC» tandis que l’Organisati­on nationale indigène de Colombie (ONIC) a dénoncé l’usage d’armes à feu par la force publique ainsi que la «présence de civils armés non identifiés» non loin des forces de sécurité de l’Etat.

Manifestat­ion à Bogota, le 18 mars dernier.

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(JUAN DAVID MORENO GALLEGO/ANADOLU AGENCY)

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