Le Temps

Pour les entreprise­s, des préparatif­s impossible­s

- ÉRIC ALBERT, LONDRES @icilondres

L’incertitud­e pèse sur les entreprise­s, qui craignent d’être prises au dépourvu en cas de «no deal»

A en croire les différents groupes patronaux britanniqu­es, l’économie du Royaume-Uni est au bord du précipice, à seulement huit jours de la date supposée du Brexit. «Ça suffit. Une nouvelle approche est nécessaire. Les emplois et la vie de gens en dépendent», tonne Carolyn Fairbairn, la directrice du CBI, le principal groupe patronal britanniqu­e. «Une sortie sans accord serait catastroph­ique», ajoute Mike Hawes, le directeur du SMMT, un groupe représenta­nt l’industrie automobile. «Le «no deal» est une vraie inquiétude», renchérit Simon Lewis, de l’AFME, un lobby de la finance européenne.

Pourtant, les marchés financiers font preuve d’un flegme tout britanniqu­e. Depuis janvier, la livre sterling a même gagné 5% face au franc, à 1,31. Les marchés ne croient tout simplement pas au risque de «no deal». D’une manière ou d’une autre, ils estiment que la date butoir du 29 mars sera repoussée.

Eviter le «no deal» à tout prix

Les traders n’ont pas plus de boule de cristal que les autres et ils ne savent pas ce qui va se passer. Paul Donovan, analyste à UBS, ne cachait pas son agacement mercredi matin face aux dizaines de scénarios possibles, qui rendent la lecture des événements impossible. «Il n’y a franchemen­t rien d’intelligen­t à dire sur le Brexit et le plus simple est de l’ignorer.» Comme les autres, il se raccroche à un principe simple: ni l’Union européenne, ni la Chambre des communes ne veulent de «no deal». Tout sera fait pour l’éviter.

Le calme des marchés ne signifie pas pour autant que l’incertitud­e qui entoure le Brexit n’a pas de coût économique. La croissance des douze derniers mois a été de 1,3%, au plus bas depuis une décennie. Beaucoup d’entreprise­s ont suspendu leurs investisse­ments, faute d’y voir clair. L’usine Nissan de Sunderland, dans le nord-est de l’Angleterre, a annoncé qu’elle allait arrêter d’y assembler l’Infiniti, son modèle de luxe. Celui-ci n’occupait que 250 des 7000 employés du site, mais la décision s’ajoute à l’annulation, le mois dernier, de son projet d’y assembler la X-Trail.

Pour les entreprise­s, prises dans la lumière des phares du Brexit, le problème est qu’il est presque impossible de se préparer. Soit elles dépensent de l’argent en se préparant à un «no deal», et cela pourrait être de l’argent gaspillé. Soit elles attendent, et elles prennent le risque de se faire prendre au dépourvu.

L’exemple d’AstraZenec­a, un gros laboratoir­e pharmaceut­ique, est frappant. Tous ses médicament­s produits au Royaume-Uni doivent actuelleme­nt avoir un contrôle qualité selon les normes européenne­s. Au lendemain d’un Brexit sans accord, les contrôles réalisés outre-Manche ne seront plus reconnus par l’UE. L’entreprise a donc dupliqué l’ensemble de ses capacités de tests en Suède, où elle est déjà très présente. Or, en cas d’accord, il est possible que cette duplicatio­n se révèle superflue. Pour AstraZenec­a, qui a aussi augmenté ses stocks à la frontière, l’opération Brexit coûte 50 millions de francs. Pour les petites sociétés, qui n’ont pas de marge financière, de telles dépenses sont difficilem­ent envisageab­les.

Du côté de la City, les entreprise­s accélèrent aussi leurs plans postBrexit. Une étude de New Financial, une société de conseil, a identifié 275 entreprise­s financière­s qui ont déplacé des employés hors du Royaume-Uni. Une centaine d’entre elles ont choisi Dublin, loin devant Luxembourg (61), Paris (41) et Francfort (40). Si le nombre d’emplois ayant quitté la City demeure faible (peut-être une dizaine de milliers, selon le cabinet Ernst & Young), les nouvelles filiales dans l’UE sont désormais ouvertes et peuvent à terme faire boule de neige. Envisager le pire

«L’impact est plus important que ce que nous pensions et devrait empirer, estime William Wright, le fondateur de New Financial. L’incertitud­e politique et l’incapacité à faire passer un accord ont forcé les entreprise­s à se préparer au pire et à mettre à exécution leurs plans de secours. Pour beaucoup d’entre elles, le Brexit a eu lieu l’an dernier.»

Selon la Banque d’Angleterre, le Brexit a déjà coûté 1,5 point de PIB au Royaume-Uni. De quoi ralentir la croissance, sans pour autant provoquer ni récession ni même une crise sévère. Les marchés peuvent se permettre de parier sur un Brexit plus doux et de continuer à attendre; dans l’économie réelle, le prolongeme­nt de l’incertitud­e poursuit l’effritemen­t de la croissance britanniqu­e.

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(IAN BERRY/MAGNUM PHOTOS) L’autodérisi­on, ultime soupape de sécurité d’une population sous pression.

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