Un jogging ou du chocolat? Un choix dicté par quelques molécules...
Les décisions conduisant à faire du sport ou à casser la croûte semblent, chez la souris, gouvernées par des molécules qui miment l’action du cannabis. Les mécanismes neurobiologiques à l’oeuvre pourraient aider à mieux comprendre les troubles du comportement alimentaire
Faites un petit sondage. Demandez à votre entourage ce qu’il préfère: se lancer dans un footing d’une demiheure ou croquer une fine tablette de chocolat? On vous laisse deviner le résultat.
Mais ces choix en sont-ils vraiment, ou bien dépendent-ils de déterminismes biologiques? Une étude publiée le 7 mars 2019, dans la revue JCI Insight, pointe un «responsable» biologique chez la souris: les récepteurs endocannabinoïdes. Oui, ceux-là mêmes sur lesquels se fixe le tétrahydrocannabinol (THC), molécule psychoactive du cannabis, mais qui sont aussi activés par des molécules naturellement produites par l’organisme.
Les récepteurs du cannabis contrôlent la motivation
Comment évaluer la motivation des souris pour courir? Les auteurs ont eu recours à un astucieux protocole. Ils ont mesuré l’effort que l’animal était prêt à fournir pour avoir accès à l’une de ses récompenses favorites: courir dans une roue. «Pour courir dans cette roue, les souris devaient mettre leur museau dans un trou, ce qui débloquait un frein», explique Francis Chaouloff, de l’Université de Bordeaux, qui a coordonné l’étude. Ainsi habituées, elles ont dû progressivement augmenter leur effort et mettre trois fois leur museau dans ce dispositif, puis 6 fois, 9 fois…
Les auteurs ont comparé deux groupes d’animaux, des souris normales en guise de contrôle, et des souris chez qui les récepteurs aux endocannabinoïdes de type CB1 avaient été inactivés. Résultat, ces dernières étaient bien moins motivées que les souris normales pour accéder à la roue. L’effort maximal qu’elles étaient prêtes à fournir pour activer la roue était 80% plus faible. «Une chose nous a étonnés, note Francis Chaouloff. Une fois que nos deux groupes de souris avaient accès à la roue, ils couraient aussi longtemps l’un que l’autre dans cette dernière.» Le signe, en fait, que ces récepteurs «jouent un rôle majeur
«Le cannabis et l’activité physique semblent bien emprunter le même circuit de la motivation dans le cerveau» FRANCIS CHAOULOFF, NEUROBIOLOGISTE
dans le contrôle de la motivation pour l’activité physique», mais pas dans les performances ou le plaisir liés à cette activité, qui dépendraient plutôt des récepteurs aux endorphines, ces drogues internes du plaisir que fabrique notre corps.
Concernant l’appétence pour le chocolat, les récepteurs CB1, par ailleurs connus pour leur rôle dans la régulation de l’appétit, semblent en être une clé importante. Quoique à un degré moindre que pour l’activité physique. «Leur blocage diminue de 30% la motivation des animaux pour manger ces friandises – contre 80% de leur motivation pour courir», résume Francis Chaouloff.
Le sport remplace le cannabis
Enfin, les auteurs ont laissé les souris choisir entre l’une de ces deux activités si contrastées. Et ont constaté que leur motivation pour courir l’a emporté sur leur désir de sucreries. Sauf pour les souris dotées de récepteurs CB1 inactifs! Celles-ci, moins motivées à activer leur roue, ont alors préféré s’adonner à la gourmandise.
Une étonnante observation chez l’homme conforte en partie ces résultats. On a demandé à des fumeurs de cannabis d’aller s’entraîner une semaine dans une salle de sport. En parallèle, on mesurait leur consommation de cannabis. Verdict: ceux qui ont fait du sport ont vu leur consommation de cannabis chuter, comme si s’établissait une concurrence moléculaire entre le THC et d’autres molécules, possiblement produites lors du sport, au niveau des récepteurs CB1. «Le cannabis et l’activité physique semblent bien emprunter le même circuit de la motivation dans le cerveau», commente Francis Chaouloff.
Ces travaux fondamentaux laissent entrevoir une meilleure compréhension des mécanismes à l’oeuvre dans les décisions liées à l’activité physique et à la prise alimentaire, processus mentaux détraqués lors de troubles du comportement alimentaire.
«Mon rêve est de développer un modèle de l’anorexie nerveuse. Cela nous permettrait d’en décrypter les mécanismes neurobiologiques», confie Francis Chaouloff. Nombreux sont les gènes suspectés d’intervenir dans cette pathologie complexe. Mais aucun n’explique à lui seul la maladie. Existerait-il, chez les personnes anorexiques, des mutations qui inactiveraient le gène des récepteurs CB1? Aux biologistes d’examiner cette piste.
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