Pourquoi les nageurs replongent
Champion olympique du 50 m nage libre en 2012, le Français Florent Manaudou a annoncé son retour dans les bassins. Comme sa soeur Laure et bien d’autres avant eux. Les spécificités de la natation permettent ces retours et expliquent leur cause première: u
On ne sait pas ce que le handball tricolore y a perdu mais l’on voit bien ce que la natation française peut y gagner: une chance de médaille supplémentaire l’an prochain aux Jeux olympiques d’été de Tokyo. Champion olympique du 50 m nage libre à Londres en 2012, Florent Manaudou a annoncé le 18 mars qu’il reprenait la compétition après trois années essentiellement consacrées à tenter de devenir un bon joueur de handball.
Florent Manaudou le dit luimême: il ne revient «pas pour faire une demi-finale à Tokyo» mais pour remporter un second titre olympique. En 2016, celui décerné aux Jeux de Rio lui avait échappé pour un centième, au profit de l’Américain Anthony Ervin, 35 ans à l’époque, qui était sorti d’une retraite de huit ans (et d’une reconversion peu fructueuse comme chanteur de rock). Au Japon, l’un de ses rivaux sera peut-être son compatriote Amaury Leveaux, qui a repris la compétition en septembre 2018 après cinq ans d’arrêt. Florent Manaudou pourra également demander conseil à sa soeur aînée Laure, médaillée d’or en 2004 à Athènes, retraitée en 2009 à 23 ans, revenue dans les bassins en 2011 et qualifiée pour les Jeux de Londres, où elle ne participa à aucune finale.
De Björn Borg à Michael Jordan en passant par George Foreman ou Martina Hingis, les exemples de grands sportifs sortant de leur retraite sont nombreux et leurs justifications très classiques: rien ne remplace jamais le sport en matière de sensations, d’excitation, de structuration, voire de rémunérations. Il existe cependant très peu de sports où le phénomène est aussi répandu qu’en natation. Le cas le plus célèbre est celui de Michael Phelps, qui prit sa retraite en 2012 avec 18 titres olympiques et replongea deux ans plus tard pour en gagner cinq de plus en 2016 à Rio. Comme lui, Matt Biondi, Ian Thorpe, Grant Hackett, Franziska van Almsick, Jenny Thompson ou Janet Evans sont revenus à la compétition, avec des fortunes diverses.
«On ne s’amuse pas à la natation, on ne joue pas à la natation. Alors, souvent, quand on arrête, on coupe complètement», explique l’ancien nageur Etienne Dagon, médaillé de bronze à Los Angeles en 1984, qui a mis fin à sa carrière après les Jeux de Séoul, à 28 ans. «A la retraite, ce n’est pas l’entraînement qui manque, mais les hormones du plaisir qu’il générait, l’excitation de la compétition, la médiatisation, un cadre strictement défini pour certains. Parallèlement, on se pose beaucoup de questions, on suit les résultats, on se compare…»
C’est en constatant qu’il n’avait toujours pas de rival en Suisse trois ans après sa retraite que Dano Halsall se remit à l’eau en septembre 1995, avec l’ambition de participer à ses quatrièmes Jeux olympiques à Atlanta. «Au bout de six mois d’entraînement, j’ai réussi les minima, se souvient l’ancien sprinter. J’étais qualifié pour Atlanta. Mais j’avais une famille, je devais gagner ma vie, je ne pouvais pas m’entraîner suffisamment pour espérer plus que participer, alors tout cela m’est apparu vide de sens et j’ai arrêté. Sans regret.»
Une piscine municipale suffit
La natation permet d’entrevoir un retour. Au contraire des sports collectifs, elle n’exige pas de trouver un engagement dans une équipe professionnelle. Pas besoin non plus de reprendre tout en bas comme au tennis, puisque l’on se bat contre le chronomètre. Les piscines municipales offrent presque toutes un cadre d’entraînement aux normes. Il suffit donc de se jeter à l’eau et de s’entraîner dur.
Mais la principale raison est bêtement logique. Si les nageurs peuvent espérer redevenir compétitifs après plusieurs années d’arrêt, c’est parce qu’ils sont le plus souvent encore jeunes. Parce qu’ils ont arrêté jeunes: Florent Manaudou avait 25 ans, sa soeur 23 ans, Amaury Leveaux 28 ans, Michael Phelps et Anthony Ervin 27. En 1972, Mark Spitz avait pris sa retraite à 22 ans. Ainsi, des retraités comme l’Américaine Missy Francklin (23 ans) ou le Français Yannick Agniel (26 ans) ont encore tout le loisir de changer d’avis.
Même si la tendance est à l’étirement des carrières (parce qu’elles sont plus lucratives que par le passé et parce que battre des records et accumuler des titres fait désormais partie du cahier des charges du champion moderne), de nombreux nageurs arrêtent tôt. La raison est de nouveau toute simple: parce qu’ils saturent vite. L’entraînement en natation est long, difficile, monotone, terriblement quantitatif et répétitif.
Recordman du monde du 50 m nage libre en 1985, Dano Halsall avoue aujourd’hui que «l’odeur humide et chlorée des piscines [lui] donne des boutons. C’est un sport d’autiste: le nageur est totalement isolé du monde extérieur. Il n’entend rien, ne sent rien, ne voit rien d’autre que les carreaux au fond de la piscine. Ce régime-là, six jours par semaine, dans des bassins qui, en Chine comme en Suisse ou aux Etats-Unis, se ressemblent tous, est très usant psychologiquement.»
Carrière précoce, usure rapide
Comme la gymnastique, la natation autorise d’arriver au sommet à l’adolescence. A 21 ans, l’Américaine Katie Ledecky est déjà quintuple championne olympique et quatre fois désignée sportive de l’année. De son propre aveu, Mark Spitz s’estimait «un vieil homme qui veut réussir son come-back» à Munich en 1972. Il n’avait que 22 ans, mais portait depuis quatre ans le poids de son échec à Mexico: «seulement» deux médailles d’or au lieu des six qu’il s’était imposées.
Nageuse précoce également, détentrice d’un record du monde à 15 ans et championne olympique à 17 ans, l’Américaine Dara Torres prit sa retraite en 1992 à 25 ans après onze ans de carrière. Elle revint huit ans plus tard (cinq médailles aux Jeux de Sydney en 2000), s’arrêta de nouveau, et revint une dernière fois à Pékin en 2008.
Elle n’aurait pas pu le faire en gymnastique, où son corps aurait trop changé. «Dans l’eau, les articulations souffrent moins, un ou deux kilos en plus ne sont pas gênants», souligne Dano Halsall. «La particularité de la natation, c’est que plus on vieillit et plus on se tourne vers les courtes distances, où les charges d’entraînement sont moins lourdes», observe Etienne Dagon.
Courir le 50 m nage libre est à la fois une chance et un risque pour Florent Manaudou. «Je respecte le challenge, mais je pense qu’il s’est mis énormément de pression en disant viser le titre, estime Dano Halsall. Le 50 m se joue souvent sur quelques centièmes. Il peut réussir son retour, redevenir un grand champion et tout de même être battu d’un rien en finale, ce qu’il vivra comme un échec. Parviendra-t-il à être suffisamment relâché en finale pour ne pas «mouliner»? Pour gagner, il devra être encore plus fort qu’avant sa retraite.»
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«C’est un sport d’autiste: le nageur est totalement isolé du monde extérieur. Ce régime-là, six jours par semaine, est très usant»
DANO HALSALL, RECORDMAN DU MONDE DU 50 M NAGE LIBRE EN 1985