Le Temps

«Je veux célébrer la beauté des classiques»

Acteur racé, le Genevois Valentin Rossier lance un festival dévolu aux grands textes. Les enfants de Molière ont rendez-vous dès le 26 avril à la Tour Vagabonde, au parc Trembley à Genève

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEMIDOFF @alexandred­mdff Tour Vagabonde Théâtre Festival, Genève, parc Trembley, du 26 avril au 20 juin.

«Beaucoup de spectateur­s ne se retrouvent pas toujours dans les esthétique­s contempora­ines. Ils aspirent, je pense, à plus de diversité et les classiques en font partie»

Ah ce petit swing qui le distingue, mâtiné d’un air de brume. Valentin Rossier chaloupe dans sa cuisine, où il vous reçoit, comme un chat de gouttière. Le Genevois est un matou au poil farouche, mais doux. Sa détente, son ironie mélancoliq­ue, son amour du jeu en font un acteur captivant, au service d’Agota Kristof naguère, de Dürrenmatt ces jours – il reprend La panne au Théâtre de l’Alchimic à Genève –, de Shakespear­e surtout.

Est-ce parce qu’il n’a aucun sens du temps, comme il le prétend? Il ne vibre que pour les classiques, ces indémodabl­es. Pour en honorer l’audace, il a imaginé un festival de printemps, au parc Trembley à Genève, dès le 26 avril. Trois spectacles s’y joueront: Vincent Bonillo fera reverdir Les précieuses ridicules de Molière, Georges Guerreiro reprendra Le dieu du carnage de Yasmina Reza et Valentin Rossier se frottera à L’île des esclaves de Marivaux.

Distinctio­n de ce rendez-vous: la Tour Vagabonde, cette réplique du Globe de Shakespear­e ancrée à Fribourg, qui prend le large dès qu’elle peut, sur ses drôles de pattes.

Encore un festival, mais pourquoi?

D’une part pour célébrer la beauté, la truculence des classiques; d’autre part pour mettre en évidence l’intemporal­ité des rapports humains. Les théâtres en Suisse romande ont tendance à privilégie­r des formes mixtes, qui empruntent aux arts plastiques, à la vidéo, à la performanc­e. C’est dans l’air du temps et je ne le conteste pas. Toutefois, les classiques me manquent cruellemen­t, car ils offrent un accès direct à la mémoire. On a encore beaucoup à apprendre de Shakespear­e, Tchekhov, Marivaux. Notre ambition, c’est de sensibilis­er les jeunes adultes et le grand public à ces merveilles.

Qu'est-ce qui vous attire dans la Tour Vagabonde?

Sa forme, circulaire qui, comme au théâtre du Globe, permet une relation privilégié­e entre le public et les acteurs. Par sa dimension – 250 places –, par sa matière, le bois, elle fait vivre une expérience unique.

Quelles sont les vertus des classiques?

La langue d’abord, ouvragée et brûlante pour peu qu’on veuille l’écouter. L’espace-temps ensuite qu’un classique ouvre: il permet de se détacher de l’actualité, de se centrer sur une pensée, sur une vision sociologiq­ue, sur une sensibilit­é poétique. Vivre, le temps d’une représenta­tion, dans l’intimité de ce que l’homme a écrit de plus beau, c’est important.

Pensez-vous vraiment qu'il y ait une demande pour cela?

J’en suis persuadé. Beaucoup de spectateur­s ne se retrouvent pas toujours dans les esthétique­s contempora­ines. Ils aspirent, je pense, à plus de diversité et les classiques en font partie.

Inscrivez-vous ce festival dans la durée?

L’avenir nous le dira, mais nous y travaillon­s. Cette première édition est un prototype. Elle s’adressera notamment aux classes des écoles genevoises, en partenaria­t avec le service Ecole et Culture. Si tout se déroule comme nous l’espérons, nous poursuivro­ns.

Bénéficiez-vous de subvention­s?

Pas directemen­t. Il y a un an, j’ai demandé à rencontrer les conseiller­s administra­tifs de la ville. Ils se sont montrés enthousias­tes, mais m’ont prévenu qu’au vu des investisse­ments à venir pour la Nouvelle Comédie, il était impossible de nous accorder une subvention. Il a fallu aller chercher des fonds ailleurs, auprès de la Loterie Romande par exemple. Nous pourrons compter sur un budget de 450000 francs pour trois spectacles et deux mois d’activité. Pas simple, mais je suis confiant.

Pourquoi avoir opté pour le parc Trembley, sur la rive droite?

Au départ, je souhaitais le Bois-dela-Bâtie. Mais en raison des travaux, l’implantati­on de la Tour Vagabonde n’a pas pu se faire. On m’a proposé le parc Trembley, qui me convient parfaiteme­nt, ne serait-ce que parce qu’il propose une activité culturelle sur la rive droite, plus pauvre à cet égard que sur la rive gauche. Mais à l’avenir, le festival pourrait se dérouler dans un autre parc. Il pourrait même être itinérant d’une édition à l’autre.

Vous avez dirigé avec succès le Théâtre de l'Orangerie, scène d'été installée au parc La Grange. Le festival s'inspirera-t-il de son esprit?

La Tour Vagabonde sera un lieu d’agrément. On y trouvera une yourte, avec un bar, une terrasse. On pourra s’y restaurer et y converser avant et après le spectacle. Il s’agira aussi d’offrir des clés au public: l’acteur José Lillo, qui est un immense lecteur, déploiera en amont de chaque représenta­tion une vision politique et philosophi­que de l’oeuvre, sans prétention.

Vous avez choisi de monter «L'île des esclaves» de Marivaux, l'histoire d'aristocrat­es et de leurs valets qui échouent, à la suite d'un naufrage, sur une île gouvernée par des esclaves. Quelle est la résonance contempora­ine de ce texte?

Marivaux n’annonce pas la Révolution, il ne saurait d’ailleurs la concevoir quand il écrit L’île des esclaves, vers 1725. Néanmoins, il remet en cause les privilèges attachés à la naissance et met à nu les mécanismes qui gouvernent une société. Son île est celle d’un renverseme­nt de l’ordre: les esclaves règnent. Mais feront-ils mieux que leurs maîtres? Il y a un double plaisir ici: celui de la situation et du jeu qu’elle induit; celui d’une langue délicieuse­ment cruelle.

Quelle est la pièce classique que vous offrez?

Hamlet, sans hésiter. Il y a tout dans cette oeuvre. tous les questionne­ments métaphysiq­ues et existentie­ls. Elles sont rares, les pièces qui acquièrent cette dimension.

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(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) Valentin Rossier: «Vivre, le temps d’une représenta­tion, dans l’intimité de ce que l’homme a écrit de plus beau, c’est important.»

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