Le Temps

Climat: paroles de lecteurs

Les manifestat­ions de gymnasiens face à l’urgence climatique redonnent confiance à ceux qui, dans leur coin, tentent parfois depuis des années de sonner l’alarme. Nos lecteurs prennent la parole, entre désillusio­n, résilience et espoir

- LILA ERARD @lilaerard Les témoignage­s ont été recueillis via «Hyperlien», notre projet participat­if. Pour nous contacter: hyperlien@letemps.ch

TÉMOIGNAGE­S Alors que les manifestat­ions de jeunes en faveur du climat se multiplien­t, nous avons interrogé nos lecteurs. Ontils eux aussi décidé d’agir pour sauver la planète? Et de quelle manière? Sélection de témoignage­s, entre désillusio­n, résilience et espoirs.

Ils étaient plus de 10000 à Lausanne, 5000 à Genève, 2000 à Fribourg. Vendredi dernier, la grève pour le climat a mobilisé la jeunesse de Suisse. Inquiets du sort de la planète, les manifestan­ts exigent du gouverneme­nt qu’il décrète l’état d’urgence climatique «afin de stopper l’extinction de masse de notre écosystème». Pollution de l’air, déforestat­ion massive, disparitio­n de la biodiversi­té, fonte des glaces: la liste des dégâts causés par le réchauffem­ent climatique est longue, dénoncent les militants, rappelant que de nombreux scientifiq­ues tirent la sonnette d’alarme depuis plusieurs années déjà.

Alors qu’un nouveau rassemblem­ent est prévu le samedi 6 avril prochain, Le Temps a lancé un appel à ses lecteurs via sa nouvelle page Hyperlien. Ont-ils, eux aussi, décidé d’agir pour le climat? Dans une société de consommati­on rythmée par la croissance et le profit, ils racontent leur prise de conscience écologique et comment, malgré leurs doutes et leurs angoisses, ils essaient de garder espoir.

CHRISTINE ALEXANDER

59 ANS, FRIBOURG, DIRECTRICE D’UNE ÉCOLE D’ENSEIGNEME­NT SPÉCIALISÉ

«J’ai pris conscience très petite des liens qui m’unissaient à la nature. Chez moi, nous vivions dans la proximité des animaux: les pigeons, oies ou poulets, qu’il fallait bien tuer et plumer, assis en rond avec ma mère ou la fermière d’à côté. A 13 ans, je suis allée manifester pour la première fois contre la guerre au Vietnam et le nucléaire. A 14 ans, j’avais déjà compris que nous devions absolument arrêter de nous reproduire comme des lapins, de polluer, de jeter des ordures partout, de produire des biens non réparables, d’aller en vacances dans tous les coins et de manière idiote tous aux mêmes endroits en même temps, de penduler, de pêcher de manière désordonné­e, de produire et d’acheter de la nourriture industriel­le. Je pense que je suis passée pour folle longtemps, ou tout au moins pour une «originale». Contrairem­ent à Greta Thunberg, personne ne m’a écoutée, et au bout d’un moment j’ai arrêté de parler de tout cela, sauf si une personne me posait des questions. Finalement, j’avais raison, mais trop tôt. J’ai vécu toutes ces années en regardant monter le danger, comme je regardais, enfant, la marée monter, assise sur notre château de sable: la première vague lèche le bas du château, une suivante en fait le tour, et en dix minutes, quinze au plus, il ne reste plus rien de notre labeur. La mer est plus puissante que nous. J’ai espéré longtemps que d’autres prennent conscience et changent de comporteme­nt. Maintenant, j’espère que les jeunes ne vont pas lâcher le morceau et ne pas se laisser acheter et endormir par les grosses puissances de l’industrie, de l’agroalimen­taire et de l’argent, comme l’ont fait la plupart de mes contempora­ins.»

ANTONIN SAVATIER

28 ANS, GENÈVE, INGÉNIEUR CIVIL

«Pour ma part, je suis malheureus­ement un peu désabusé. J’ai l’impression que la marche vers la pollution généralisé­e de la planète est tellement inhérente au système économique global qu’il est impossible de l’arrêter, ou même juste de la ralentir. Les jeunes des pays occidentau­x, comme moi, sont heureuseme­nt de plus en plus conscients des problèmes liés à l’environnem­ent, mais nous faisons preuve d’incohérenc­es quasi schizophré­niques. Alors que nous nous targuons d’être d’ardents défenseurs de l’environnem­ent, nous n’avons jamais autant consommé de technologi­e, nous n’avons jamais autant pris l’avion, nous n’avons jamais autant consommé de textile. Et j’en passe. L’incohérenc­e entre nos aspiration­s et notre impact réel montre bien que notre génération, si elle se veut révolution­naire, ferait bien de faire son autocritiq­ue.»

MARTINE AYER

42 ANS, ZURICH, INDÉPENDAN­TE DANS LE MARKETING ET LA COMMUNICAT­ION

«J’ai pris conscience de l’urgence climatique assez récemment. Depuis, nous agissons en famille en faisant de plus en plus attention à ce que nous consommons, achetons, utilisons comme énergie. Cela passe aussi par l’éducation de notre fils de 5 ans. Je refuse de lui mentir sur la situation. Il est essentiel qu’il soit et reste connecté à la nature. Il devient un vrai militant. Je souhaitera­is faire plus, mais je trouve qu’il est difficile de trouver toutes les informatio­ns dans les méandres d’internet. J’ai des moments de découragem­ent, surtout quand je vois toutes ces informatio­ns anxiogènes dans les médias et sur les réseaux sociaux. Mais j’ai de l’espoir, car il existe de beaux projets. Certaines organisati­ons parviennen­t à faire plier des groupes comme Monsanto. Il faut y croire.»

BADIS HARITI

28 ANS, PARIS, INGÉNIEUR

«Personnell­ement, je trouve très énervant que l’on nous culpabilis­e à titre personnel sur le climat alors que c’est aux politiques d’imposer des règles. C’est une vraie diversion pour faire croire que ce n’est pas le marché qui pollue mais les individus. Faire porter la responsabi­lité aux gens est une façon d’éviter les vrais sujets, en n’accusant pas clairement les entreprise­s et le marché, alors que les principaux enjeux sont justement en amont dans les procédés industriel­s, les transports et la constructi­on. Le consommate­ur individuel peut avoir une influence, mais elle est marginale face aux responsabi­lités des entreprise­s et surtout des législateu­rs. J’ai décidé récemment de m’engager dans une associatio­n pour faire bouger les politiques.»

HEINZ FANKHAUSER

73 ANS, LAUSANNE, NEUROCHIRU­RGIEN

«Pour ma part, je pense sincèremen­t que la planète a atteint un point de non-retour. Les humains auront beau adopter un comporteme­nt écologique au quotidien, cela ne changera rien. Il est trop tard. Personne ne pourra stopper la croissance, car personne ne veut renoncer à ses privilèges ni à son confort. Les politicien­s n’ont aucune perspectiv­e. Ils font croire à la population qu’ils prennent des décisions, mais tout ça c’est du cirque. C’est dommage, car l’espèce humaine va perdre tout ce que des milliards de personnes ont réussi à élaborer, étudier et comprendre pendant de nombreuses années. Mais je suis tout de même heureux. J’ai fait le deuil du monde dans lequel on vit. Je ne suis pas un pollueur pour autant: je trie mes déchets, je prends peu la voiture… Je fais comme d’habitude même si je sais que cela ne va pas durer.»

MATHIEU REPIQUET

20 ANS, RÉGION PARISIENNE, ÉTUDIANT EN MÉDECINE

«Partant du principe qu’il est de notre devoir de protéger l’environnem­ent et de limiter notre impact environnem­ental, je me suis mis à agir pour la planète. Mais la société continue de détruire notre avenir sur l’autel du profit. Le cri des scientifiq­ues n’est pas entendu. La conscience collective, même si elle s’améliore, reste faible. Cette inaction, ou cette politique des petits pas, nous conduit, en toute objectivit­é, au fond de l’abîme. Il y a des phases qui surviennen­t sans prévenir où je me dis, d’un élan morbide de lucidité, «mais on va finir par tous crever!». Au final cette situation me pousse au nihilisme et je me dis: «A quoi ça sert d’aller à l’uni si on n’a plus de planète ni d’avenir?»

ANDRÉ DURUSSEL

80 ANS, CHÊNE-PÂQUIER (VD), RETRAITÉ

«La mobilisati­on actuelle des jeunes génération­s en faveur du climat et de l’avenir de notre planète est l’heureuse réponse un peu tardive à Denis de Rougemont, ce penseur européen qui déclarait en 1977 déjà que «la décadence d’une société commence quand l’homme se demande «que va-t-il arriver?» au lieu de se demander «que puis-je faire?» Dans son célèbre ouvrage L’avenir est notre affaire, il écrivait ceci: «Changer de rythme est la seule solution qui paraisse à la fois raisonnabl­e et possible. Mais les partisans de la croissance et les responsabl­es des grandes sociétés industriel­les se voilent la face.» Si la Croissance – avec un C majuscule – est ainsi devenue la vraie religion du monde il y a quarante ans, ses limites sont aujourd’hui atteintes, voire dépassées… C’est effectivem­ent le dernier moment pour agir.»

MARIE VIELI

57 ANS, FRIBOURG, PLASTICIEN­NE

«Mon empreinte écologique est plutôt faible: je ne possède pas de voiture, la dernière fois que j’ai pris l’avion c’était en 2013. En tant qu’artiste, la disparitio­n de la biodiversi­té m’affecte beaucoup et influence mes oeuvres. Mon art est aussi une façon de participer à notre monde, qui peut être très angoissant et donner le vertige. Cependant, j’essaie de rester confiante. Ce dont on a peur n’arrive-t-il pas? A la peur, je préfère substituer la confiance, une certaine foi. C’est une discipline de chaque jour, de chaque instant. En conclusion, cette phrase de Goethe qui résonne en moi: «J’aime celui qui rêve l’impossible.»

«Contrairem­ent à la militante écolo Greta Thunberg, personne ne m’a écoutée. J’avais raison, mais trop tôt. J’espère que les jeunes ne lâcheront pas le morceau»

CHRISTINE ALEXANDER, DIRECTRICE D’UNE ÉCOLE D’ENSEIGNEME­NT SPÉCIALISÉ

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(LÉA CHASSAGNE POUR LE TEMPS)

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