Le Temps

DES RÉFORMATRI­CES AU MUR

- SYLVAIN THÉVOZ, DÉPUTÉ (PS), GENÈVE

Un collectif féministe a inscrit sur le mur des Réformateu­rs et sur la statue du général Dufour la question «Où sont les femmes?», légitimant son action par le ras-le-bol d’une histoire racontée uniquement par et pour les hommes. A cette action coup-de-poing, le journalist­e Alexis Favre s’est fendu d’un billet dans «Le Temps». Selon lui, ces femmes se trompent de tags et d’époque. Elles se méprennent également sur leurs interlocut­eurs en allant chambrer Théodore de Bèze et Calvin.

Or, Alexis Favre fait erreur en pensant que ces femmes s’adressent à Théodore de Bèze et à Calvin. C’est bien vers nous qu’elles se tournent, vers leurs contempora­in.e.s, à qui elles demandent des comptes. Il fait également erreur en pensant que l’histoire est révolue et qu’elle est écrite une fois pour toutes. Si on le suivait, les statues de Staline orneraient encore la Russie et le mausolée de Franco ne serait pas contesté en Espagne. Au nom de «l’histoire, c’est l’histoire et l’on n’y touche pas», on baignerait encore dans le formol jusqu’au cou.

Pourtant, nos lectures de l’histoire sont bien politiques, contextuel­les, et se font au présent. Il est donc salutaire de renommer des rues, modifier des mausolées… et taguer des murs. La ville de New York ne s’y trompe pas, qui a décidé de faire évoluer sa statuaire pour la féminiser. Constatant également qu’il y avait des statues de Pétain et de Laval sur son territoire, la Grande Pomme a ouvert le débat sur ce qu’il fallait en faire. D’ailleurs, à ce sujet, combien «d’illustres» personnage­s ont encore leur statue alors que l’histoire s’est chargée de les remettre à leur place? Combien de femmes sont encore cachées derrière, alors qu’elles méritent toute la lumière? La ville de Genève, en soutenant l’action du collectif L’Escouade de «rebaptiser» 100 places, chemins et squares avec des noms de femmes, l’a bien compris: changer les symboles, c’est actualiser et rafraîchir nos représenta­tions, et légitimer une meilleure représenta­tion des femmes dans la société.

Plutôt que de dénoncer le «vandalisme» en portant plainte, ou de s’en offusquer par un billet d’humeur, on devrait sculpter dans la pierre des figures de femmes et les inclure à cette galerie. Notre époque doit honorer ses réformatri­ces. Celles qui ont tagué le mur des Bastions y ont leur place. Tant pis si cela fait grincer les dents des tenants d’un patriarcat d’un autre âge. Nous sommes en 2019, plus en 1602.

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