Homard m’a tuer avec ses injonctions contradictoires
DU BOUT DU LAC
Les injonctions contradictoires ont ceci d’étonnant qu’elles sont le matériau inépuisable du chroniqueur. Vous avez beau nourrir toutes les ambitions devant votre clavier (cette semaine, je libère la phrase française), elles finissent toujours par vous détourner de votre grand oeuvre. Pour vous ramener au sarcasme et à son moteur, le désespoir. C’est donc au hasard d’une collision de deux colères paradoxales que nous voilà, vous et moi, embarqués dans ce petit texte déjà bien entamé.
La première est virale et frappée au coin du bon sens: il faut en finir avec les emballages plastique. Fini les tomates sous cellophane, sus au bio moulé d’hydrocarbures. Rendez-nous les fruits qui respirent et les océans cristallins, il y va de la survie et de l’honneur de l’humanité. Injonction parfaitement légitime et désormais susceptible de vous valoir le Prix Nobel de la paix.
La seconde est plus surprenante, mais assez profonde pour avoir poussé les chimistes cantonaux à sortir de leur réserve et de leur laboratoire: les aliments vendus sans emballage souffrent d’un grave défaut d’étiquetage en matière d’information sur les allergènes. Une situation jugée «inacceptable». Reformulé: ne laissons plus jamais un allergique démuni à la confiserie devant un carac de Damoclès.
Et les chimistes de rappeler la règle, je n’invente rien: «Dans le cas de denrées alimentaires emballées, les ingrédients susceptibles de provoquer des allergies […] doivent être indiqués sur l’étiquette. Cette obligation s’applique également, en principe, aux denrées alimentaires non emballées.» Parfaitement. L’obligation d’indiquer les allergènes sur l’étiquette «s’applique également aux denrées non emballées». Et ne venez pas nous dire que le propre d’une denrée non emballée est précisément de ne pas avoir d’étiquette, on ne plaisante pas avec la santé publique.
Juxtaposées dans un champ du réel objectivement frappadingue, voici donc deux aspirations au progrès qui se tirent dans les pattes. D’un côté, Gaïa chevillée au coeur, les tenants de l’expérience sans filtre et de la salade crottée rétablie dans ses droits naturels. De l’autre, Hippocrate en bandoulière, la Faculté, le principe de précaution et la domestication du vivant par étiquetage ISO-certifié.
Vous l’aurez compris: sauf à parier sur une percée fulgurante de la micro-gravure de Compendium sur peau de courgette de saison, la rencontre de ces deux urgences est un jeu à somme nulle. Si personne ne tranche, étiqueteurs obsessionnels et minimalistes éco-conscients n’ont pas fini de hurler dans le désert.
Sur ce, je vous laisse, je vais traîner mon poissonnier en justice. Il ne pouvait pas savoir que j’étais allergique aux crustacés et je lui sais gré de ne pas me l’avoir vendu sous vide, mais il aurait pu me prévenir que son homard contenait du homard.
«Voici deux aspirations au progrès qui se tirent dans les pattes»