Le Temps

Est-ce que l’on étudie trop longtemps? Nos offres d’emploi

L’Agence universita­ire de la francophon­ie est la plus grande associatio­n universita­ire du monde. Jean-Paul de Gaudemar, son recteur, souligne les vertus de l’esprit entreprene­urial et des formations intermédia­ires

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL GARESSUS @garessus

L’Agence universita­ire de la francophon­ie (AUF) est la plus grande associatio­n universita­ire du monde. Créée en 1961, elle regroupe 909 université­s de 113 pays, dont la Suisse, et son budget atteint 36 millions d’euros (environ 40,4 millions de francs). Elle reste pourtant largement méconnue. Ses membres ont pour caractéris­tique de partager la langue française et de respecter deux principes de base, celui de la solidarité entre université­s dans un contexte de compétitio­n, et l’idée d’une francophon­ie très ouverte. L’AUF emploie aujourd’hui environ 360 collaborat­eurs et son siège est à Montréal. Ses trois axes stratégiqu­es portent sur la qualité de l’enseigneme­nt supérieur et de la recherche, l’insertion profession­nelle et la responsabi­lité sociétale des université­s. Lors d’un entretien à Genève, Jean-Paul de Gaudemar, recteur de l’AUF depuis 2015, a répond au Temps sur la transforma­tion du monde universita­ire.

Comment améliorer l’insertion profession­nelle des étudiants?

La capacité d’insertion fait partie de la qualité d’un système universita­ire. On comprend souvent mal qu’il n’y ait pas toujours un emploi à la sortie, surtout dans les pays du Sud, où le décalage est parfois très grand entre la structure des compétence­s et celle des économies locales. Nous devons combattre ce décalage en raison des frustratio­ns qu’il crée et de ses conséquenc­es sociales, y compris les flux migratoire­s.

Nous essayons, en nous appuyant sur un comité d’orientatio­n stratégiqu­e, lequel comprend le professeur titulaire à l’Université de Genève René Sieber, de relancer des formations profession­nalisantes dans des pays qui n’en ont pas ou pas suffisamme­nt. Nous avons en effet énormément besoin de formations intermédia­ires, au niveau de la licence. L’étudiant a trop tendance ou est trop encouragé à poursuivre jusqu’au master et au doctorat.

Allons-nous assister à un virage culturel en faveur des formations intermédia­ires et profession­nalisantes?

J’aimerais qu’il y ait un virage, mais je ne suis pas certain qu’il soit encore suffisamme­nt pris. Pour faire du dual, comme en Suisse, il faut être au moins deux. Cela suppose une prise de conscience partagée.

Qui décide de vos projets? Nous sommes des lanceurs d’initiative­s et définisson­s les règles, mais le fond est porté par nos membres et des partenaire­s économique­s, des entreprise­s, des associatio­ns profession­nelles, des ONG, qui apportent cette dimension profession­nalisante et un financemen­t. L’échelle actuelle de nos actions est modeste, mais les gens doivent comprendre que ces graines peuvent germer. L’université ne doit pas faire que des formations profession­nalisantes, mais elle ne doit pas oublier cette dimension liée à son rôle sociétal. Elle ne peut avoir pour seule ambition de se reproduire elle-même. Il s’agit de changer la culture universita­ire. Cela prendra du temps. Nous sommes encore trop souvent persuadés qu’un emploi nous attend à la sortie de l’université.

Avez-vous des chiffres du développem­ent de l’esprit entreprene­urial?

Nous avons de premières expérience­s, au Maghreb avec quatre université­s (deux au Maroc, deux en Tunisie) mais aussi au Liban, où nous mettons en place un statut d’étudiant entreprene­ur. Un étudiant doit pouvoir développer un projet tout en poursuivan­t ses études. Certains deviendron­t effectivem­ent entreprene­urs. Beaucoup ne le deviendron­t pas, mais ils auront acquis l’esprit d’entreprise, même s’ils deviennent fonctionna­ires. La réussite ne peut provenir que de la constructi­on d’un triangle fonctionne­l entre l’université, les autorités politiques et, acteur souvent absent, l’écosystème économique.

L’AUF dispose d’un budget de 36 millions d’euros. C’est beaucoup, non?

C’est très modeste par rapport à nos ambitions et aux enjeux. Nous sommes une «PME» sans but lucratif avec 360 collaborat­eurs, mais la complexité est celle d’une multinatio­nale et les enjeux de nos actions sont ceux du développem­ent global aujourd’hui commandé par la connaissan­ce. La plupart des employés sont responsabl­es de projets. Notre siège est à Montréal, les services centraux, avec 80 collaborat­eurs, sont partagés entre Montréal et Paris.

La France est le premier contribute­ur financier, avec un peu moins des deux tiers de nos ressources, mais la francophon­ie n’est pas la France. D’ailleurs l’AUF n’a été créée ni par la France ni en France, mais au Québec.

Quelle est la contributi­on de la Suisse? Et son intérêt?

L’honnêteté m’oblige à dire que le montant venant de Suisse est modeste, un peu supérieur à 100000 euros, ce qui est peu pour un grand pays économique où la francophon­ie occupe une place significat­ive. L’essentiel vient du Secrétaria­t d’Etat à la formation et à la recherche ainsi que des cinq université­s concernées.

Les université­s suisses profitent avant tout des avantages du réseau et du rayonnemen­t mondial qu’il leur procure. Leur participat­ion est aussi une façon de faire valoir leur expertise et une façon de découvrir de nouveaux champs d’études. Chaque grande université a besoin de cet écosystème.

Quelle sera la prochaine étape de votre stratégie?

Dès cette deuxième phase de notre stratégie 20172021 qui s’engage désormais, notre volonté est de passer à l’échelle supérieure afin de poursuivre durablemen­t la réforme universita­ire. Cela suppose un grand travail de coopératio­n avec les acteurs politiques et économique­s. Notre budget nous offre des leviers d’actions, mais pour réaliser pleinement nos ambitions, il faut imaginer un facteur multiplica­teur important.

Aujourd’hui, ce qui nous manque encore, c’est l’entrée en mouvement des grands bailleurs de fonds, comme la Banque mondiale. La transforma­tion du monde universita­ire nécessite de facto une nouvelle réflexion et une évolution forte des politiques d’aide au développem­ent.

«Nous sommes encore trop souvent persuadés qu’un emploi nous attend à la sortie de l’université»

 ?? (EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) ?? Jean-Paul de Gaudemar, recteur de l’AUF: «Nous sommes une «PME» sans but lucratif, mais la complexité est celle d’une multinatio­nale.»
(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) Jean-Paul de Gaudemar, recteur de l’AUF: «Nous sommes une «PME» sans but lucratif, mais la complexité est celle d’une multinatio­nale.»

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland