L’Inde reste dans la main de Narendra Modi
Le premier ministre Narendra Modi a remporté une victoire écrasante aux législatives de ces dernières semaines. Il la doit à un discours religieux virulent et à des alliés particulièrement radicaux, pour qui l’assassin du Mahatma Gandhi était un «patriote
A Bombay, hier, on célébrait la victoire de Narendra Modi et de son Bharatiya Janata Party (BJP) aux législatives. Le verdict des urnes a donné une victoire écrasante au premier ministre, chantre du nationalisme hindou.
Lui n’a jamais douté. Le chef du gouvernement indien, Narendra Modi, émerge en vainqueur suprême des législatives. Sur les 542 sièges à pourvoir à la Chambre basse du parlement, son parti nationaliste hindou Bharatiya Janata (BJP) est près d’en occuper quelque 302, selon les dépouillements de la commission électorale. Dans ce scrutin perçu comme un référendum sur le premier ministre, la «vague Modi» ressemble à un tsunami.
Aucun observateur n’avait envisagé que Narendra Modi puisse ainsi surpasser sa victoire historique de 2014. «C’est le triomphe du populisme de la droite nationaliste hindoue en Inde», affirme le politologue Paranjoy Guha Thakurta. En dépit d’un bilan économique décevant, l’autoritaire Narendra Modi hypnotise son pays. A 68 ans, ce grand stratège à la barbe blanche reste seul maître à bord du géant asiatique peuplé de 1,3 milliard d’habitants.
Dès l’annonce des premiers résultats, les drapeaux safran à la fleur de lotus, emblème du BJP, se sont agités au siège du puissant parti, à Delhi. Au rythme des tambours, des danses de joie se sont improvisées. «Modi est le gardien de notre nation», s’enthousiasme un sympathisant, vêtu d’un t-shirt à l’effigie de son idole. «Il est l’un des plus grands leaders de la planète», renchérit un autre.
La popularité du premier ministre est un phénomène. Il est aujourd’hui sacré par le plus grand exercice démocratique de l’histoire: quelque 900 millions d’électeurs appelés aux urnes durant six semaines, dans un scrutin hors norme dont le coût astronomique est estimé à 7 milliards de dollars. Des villages himalayens aux hameaux reculés des jungles, les machines électroniques de vote ont été déployées à travers tout le sous-continent. Avec un taux de participation de 67%, les Indiens ont répondu massivement à leur «devoir de voter».
Agressivité «sans précédent»
Mais la campagne aura été âpre et longue. «L’agressivité qui s’y est déployée est sans précédent en Inde», estime Nilanjan Mukhopadhyay, auteur d’une biographie du premier ministre. Le parti d’opposition du Congrès, emmené par Rahul Gandhi, le petit-fils de Jawaharlal Nehru, a tenté de barrer la route à Narendra Modi. En retour, ce dernier a fustigé le vieux parti dynastique de centre gauche.
Après avoir remporté trois Etats clés lors d’élections régionales l’an dernier, Rahul Gandhi s’était senti pousser des ailes. Mais sa stratégie n’a pas fonctionné. Son parti ne remporterait qu’une cinquantaine de sièges. Humiliation supplémentaire, l’héritier de 48 ans perd son bastion familial d’Amethi, en Uttar Pradesh. «L’opposition a été incapable de proposer une alternative à la popularité de Modi, à la fois en termes de dirigeant et de vision», analyse Rahul Verma, du Center for Policy Research.
Pourtant, le bilan économique de Modi laisse à désirer. En 2014, porté par sa réussite à la tête de son Etat natal du Gujarat, le modernisateur «NaMo» s’était présenté en messie du développement et ennemi de la corruption. Cinq ans plus tard, le taux de chômage atteint des records et ses réformes majeures sont contestées. Pour faire diversion, le dirigeant a misé sur une rhétorique sécuritaire dès le début de la campagne. Il s’est présenté en chowkidar (gardien) de la nation face à la menace du terrorisme, ravivée cet hiver par une confrontation avec le Pakistan.
«Son style est populiste et autocratique», souligne Nilanjan Mukhopadhyay. Devant les foules, la magie de son hindi incantatoire a fonctionné. Et ce fils d’un vendeur de thé a pris soin de jouer l’homme simple. «Pour les électeurs, l’image musclée d’un leader fort l’a emporté sur tout le reste», commente Paranjoy Guha Thakurta.
Cette popularité a balayé le passif des tensions religieuses. Durant son mandat, Modi a tenté d’ériger la culture hindoue en politique d’Etat, portant un coup à l’identité multiconfessionnelle de l’Inde. Réécrivant les manuels scolaires ou rebaptisant des villes aux consonances musulmanes, il a été fidèle au projet du Corps des volontaires nationaux (RSS), la matrice idéologique du BJP au sein de laquelle il a fait ses classes. La liberté d’expression a été mise à mal et des violences ont ciblé la minorité musulmane. «En cinq ans, et comme jamais, Narendra Modi a divisé la société sur des lignes religieuses», estime son biographe. L’intéressé s’en défend: «Ensemble, nous bâtirons une Inde forte et inclusive», a-t-il déclaré sur son compte Twitter, suivi par 47 millions d’abonnés.
Populisme high-tech
Pour s’assurer la victoire, le BJP a bénéficié d’un immense réseau de jeunes dévoués. Un bulldozer électoral orchestré par son redoutable président, Amit Shah, fidèle lieutenant de Narendra Modi. Les deux hommes forment ainsi la «dream team» qui règne sur l’Inde. Leur parti a également développé un marketing acéré sur les réseaux sociaux. Très tôt, Narendra Modi a compris l’impact d’un populisme hightech qui passe par son omniprésence sur la Toile. De «Boucher du Gujarat», comme certains l’appelaient après les pogroms anti-musulmans de 2002 dans son Etat, il avait su métamorphoser son image en celle d’un «leader charismatique».
Quelle sera la «nouvelle Inde» promise par Narendra Modi? Si le premier ministre a les mains libres pour poursuivre ses réformes, il devrait consolider l’identité hindoue de l’Inde. Dans le quotidien The Indian Express, le politologue Suhas Palshikar met en garde: «La forme d’agressivité que le BJP risque de déployer à l’encontre de la critique et de la diversité nécessitera une opposition politique solide.»
Narendra Modi devra aussi composer avec les courants durs de l’extrême droite qu’il a lui-même convoqués, comme la virulente Pragya Thakur, qui a qualifié l’assassin du Mahatma Gandhi de «patriote». La candidate est en passe de remporter un siège dans la ville de Bhopal. Tout un symbole, qui menace de tourner la page de l’Inde multiconfessionnelle telle qu’elle a été imaginée après l’indépendance par les «pères de la nation».
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«Pour les électeurs, l’image musclée d’un leader fort l’a emporté sur tout le reste»
PARANJOY GUHA THAKURTA, POLITOLOGUE