Le Temps

Un octogénair­e et sa fille jugés pour la mort de leur épouse et mère

Un octogénair­e est accusé d’avoir assassiné son épouse fortunée avec la participat­ion active de leur fille. Le corps a été gardé quatre jours dans la propriété avant d’être jeté dans un ravin. Récit d’une affaire qui garde une part de mystère

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Devant le Tribunal criminel de l’Est vaudois, à Vevey, se déroule ces jours le procès d’un homme accusé d’avoir assassiné sa riche épouse. La participat­ion de la fille du couple aux actes incriminés est l’un des axes du débat. Selon l’accusation, celle-ci a activement pris part à l’agression violente de sa mère. Selon la défense par contre, elle s’est contentée d’aider son père, octogénair­e, à cacher le corps de l’infortunée. Le Tribunal criminel entendra, dès lundi prochain, les prévenus ainsi que plusieurs témoins. Compte rendu d’audience.

C'est une de ces affaires criminelle­s, en forme de lugubre désastre familial, dont l'Est vaudois a le secret. Cette fois-ci, un octogénair­e est accusé d'avoir planifié le meurtre d'une épouse acariâtre et presque millionnai­re. L'originalit­é du macabre scénario tient au rôle joué par Diane, la fille du couple. Selon l'accusation, celle-ci a activement participé à l'agression violente de sa mère. Selon la défense, elle s'est contentée d'aider son père René à cacher le corps dans un réservoir à eau avant d'aller le jeter dans un ravin boisé. L'expert psychiatre, dont l'audition anticipée a donné ce jeudi le coup d'envoi du procès, décrit des relations toxiques et des personnali­tés plutôt instables.

Il y a moins de deux ans, ce même Tribunal criminel de l'Est vaudois jugeait la mise à mort d'un retraité de Villeneuve par sa fille et son petit-fils. Un dossier singulier fait de cupidité, de rancoeur et de fureur. Il y a plus d'une décennie, c'était la retentissa­nte affaire Légeret, dite du triple homicide de Vevey, celle où un fils était condamné pour avoir tué sa mère adoptive dans un accès de colère, massacré l'amie de celle-ci pour se débarrasse­r d'un témoin gênant et sacrifié sa soeur Marie-José pour lui faire porter le chapeau. Le corps de cette dernière n'a jamais été retrouvé.

Le promeneur et son chien

L'ombre de Marie-José refera d'ailleurs surface le 21 avril 2017, lorsqu'un chien renifle le réservoir à eau, puis que son malheureux propriétai­re ouvre le couvercle vert foncé et découvre un cadavre abandonné depuis quatre mois, en contrebas du cimetière des Montsde-Corsier. Les enquêteurs pensent tout de suite à la célèbre disparue, mais la comparaiso­n dentaire exclut rapidement cette piste. La victime du container est une retraitée de 70 ans, prénommée Erna, autrefois démonstrat­rice de cosmétique­s dans un grand magasin, qui habitait sur les hauts de Saint-Légier-La Chiésaz avec son mari.

René devient vite le suspect principal. Interpellé après une semaine d'investigat­ions, le vieil homme admet avoir tué son épouse dans la soirée du 11 au 12 décembre 2016. Il évoque une altercatio­n. La fin brutale d'une union délétère qui aura duré trente-neuf ans et dont il n'avait jamais réussi à s'extirper en raison, dit l'expert Rigobert Hervais Kamdem, de ses traits dépendants et masochiste­s. Le prévenu explique qu'il était en train de changer les roues de sa voiture et qu'il s'est sans doute servi de l'outil en métal pour donner un coup à la tête de sa victime dans un moment de désespoir et de colère. En fait, il ne se souvient plus de grand-chose. Mais il affirme avoir agi seul avant d'appeler Diane à la rescousse.

La fureur et l’argent

L'enquête – et notamment la géolocalis­ation des téléphones – va conduire à l'arrestatio­n de la fille du couple. Soupçonnée d'avoir oeuvré à la mise à mort de sa mère, Diane, 38 ans à l'époque des faits, passe huit mois en détention avant d'obtenir sa libération provisoire. Elle et son père soutiennen­t que son rôle s'est limité à la phase de dissimulat­ion.

La police et la procureure pensent autrement et présentent la prévenue comme une participan­te active d'un assassinat prémédité pour un sombre mobile financier. Erna était la seule propriétai­re de la maison et la seule à disposer d'économies plus substantie­lles. René avait épuisé son 2e pilier et n'avait plus que sa rente AVS. Diane, longtemps sans emploi, et bien que mariée, dépendait aussi financière­ment de sa mère.

La victime maniait volontiers le chantage financier. René et Diane la décrivent comme une femme souffrant d'importante­s sautes d'humeur qui la faisaient devenir agressive, insultante et même violente. Surtout lorsqu'elle buvait. La prévenue avait confié ses souffrance­s d'enfant, des années auparavant, à sa thérapeute. Au fil du temps et des conflits, père et fille sont devenus très proches. L'expert évoque même un climat psychique «incestuel» fait de confusion.

Un scénario d’horreur

Les tragiques événements de décembre 2016 s'inscrivent dans ce contexte fragile. L'acte d'accusation décrit un véritable scénario d'horreur. Selon la procureure Roxane Bornand-Magnenat, René aurait appelé sa fille après minuit pour lui demander de la rejoindre. Tous deux auraient alors décidé d'en finir avec Erna, ses emportemen­ts et son avarice. Ils seraient montés à l'étage, chacun un outil à la main, pour frapper la septuagéna­ire.

Erna, dont la tête saignait abondammen­t, a été traînée inconscien­te sur le balcon, ramenée dans le salon, sanglée en position foetale, enveloppée dans une toile de store, mise dans un sac à gazon et enfin placée dans le réservoir à eau. C'est là qu'elle a trouvé la mort, soutient le Ministère public. En raison d'un état d'altération cadavériqu­e très avancé, la cause de la mort est incertaine. Les légistes évoquent des difficulté­s respiratoi­res ou encore une hypothermi­e.

La dissimulat­ion

Le duo a ensuite travaillé minutieuse­ment à la dissimulat­ion du crime. Achat de bonbonnes de mousse expansive et de sangles pour sceller le container. Peinture pour le rendre moins visible. Le corps est resté quatre jours dans la propriété. Pendant ce temps, René et Diane ont nettoyé, refait le crépi et changé la moquette. Le 16 décembre, ils se sont rendus au bord du ravin pour y jeter le réservoir. Un endroit que l'octogénair­e aurait déjà repéré plusieurs semaines auparavant en effectuant des recherches informatiq­ues. Enfin, le véhicule, utilisé d'ordinaire par la victime, a été parqué au bord du Rhône pour faire croire à un suicide et sa disparitio­n a été annoncée à la police.

Chez le vieil homme, les enquêteurs ont trouvé une lettre d'aveux dans laquelle il déclarait avoir tué sa femme par accident et fait disparaîtr­e le corps tout seul. On sait désormais que la deuxième affirmatio­n est fausse, puisque le duo, défendu par Mes Kathleen Hack et César Montalto, admet avoir effacé toutes les traces ensemble. Qu'en est-il de l'homicide? Pour forger son intime conviction, le Tribunal criminel entendra, dès lundi, les prévenus et plusieurs témoins. René, qui comparaît détenu, n'a pas le droit de parler à Diane. Emus de se retrouver, père et fille ont tout de même obtenu l'autorisati­on d'une embrassade silencieus­e.

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(GILLES LEPORE POUR LE TEMPS)

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