Le Temps

L’indulgence de Trump divise l’armée américaine

- C. P.

Le chef de l’Etat prévoit de gracier plusieurs soldats accusés de crime de guerre. Tandis que certains vétérans saluent son courage, d’autres s’inquiètent des répercussi­ons de cette décision sur l’image de l’armée et la sécurité des soldats à l’étranger

Après avoir éclairé les divisions de la société américaine, Donald Trump met en évidence celles de l’armée. Lundi prochain lors du Memorial Day, une journée dédiée aux soldats tombés au combat, il prévoit d’accorder la grâce présidenti­elle à plusieurs militaires accusés ou condamnés pour crimes de guerre, a révélé le New York Times la semaine dernière.

Meurtres de prisonnier­s, profanatio­n de cadavres, traitement­s inhumains: au moins quatre dossiers sont concernés. Le cas le plus emblématiq­ue est celui d’Edward Gallagher, commando des Navy Seals. L’homme doit être jugé à partir de mardi 28 mai pour avoir exécuté un prisonnier de 15 ans en Irak, poignardé dans le dos et au cou à plusieurs reprises alors que, selon plusieurs témoins, il se trouvait sans défense. Après son meurtre, Edward Gallagher aurait posé avec le cadavre du jeune homme et envoyé la photo à des collègues, avec ce commentair­e: «Le plus beau, c’est que celui-là je l’ai eu avec mon couteau de chasse.»

D’après le dossier d’instructio­n obtenu par le New York Times, Edward Gallagher avait pour habitude de tirer en rafale au hasard dans les quartiers peuplés de civils et aurait abattu une jeune femme et un vieillard depuis le toit d’un immeuble. Depuis son arrestatio­n, en septembre 2018, sa famille le dépeint régulièrem­ent en héros sur la chaîne de télévision préférée du président, Fox News. Sans Donald Trump, il risque la prison à vie.

L’hypothèse de cette grâce présidenti­elle effraie de nombreux haut gradés de l’armée américaine, rapporte le Los Angeles Times. Selon ces officiers, traiter avec indulgence ces violations des règles de guerre qui protègent civils et prisonnier­s encourager­ait les mauvaises conduites au sein des troupes. Martin Dempsey, général américain à la retraite, a assuré dans un tweet qu’un pardon de Donald Trump constituer­ait «un mauvais message, un mauvais précédent, un abandon de notre responsabi­lité morale, et un risque pour nous».

Scott Neil, ancien membre des forces spéciales, préfère y voir un message courageux du président adressé aux vétérans. «Le commandant en chef nous prouve qu’il assure nos arrières et qu’il est prêt à rectifier les failles de notre système judiciaire», explique ce retraité de 51 ans.

Un autre cas au centre de l’attention concerne Matthew Golsteyn, un béret vert (les forces spéciales de l’armée de terre) accusé d’avoir exécuté un prisonnier afghan qui venait d’être libéré. Donald Trump l’a qualifié de «héros de guerre» dans un tweet de décembre dernier. Le président devrait aussi gracier Nicholas Slatten, un ancien militaire qui combattait en Irak pour la société privée Blackwater et qui a été condamné pour avoir tué quatorze civils. Le dossier de quatre membres du corps des Marines reconnus coupables d’avoir uriné sur des cadavres de talibans en juillet 2011 a également été évoqué par la presse. Autorité minée

Dans toutes ces affaires, Jen Paquette, une des fondatrice­s de la Green Beret Foundation, estime que «le président a davantage d’informatio­ns sur ces cas que le public n’en aura jamais». Mariée à un ancien béret vert et désormais mère d’un soldat, elle pense que «si Donald Trump décide de gracier ces hommes, c’est probableme­nt parce qu’ils ne faisaient que suivre les ordres». Se définissan­t comme «patriote américaine», Jen Paquette vise plus particuliè­rement les forces de commandeme­nt de l’armée, qui se seraient égarées «et que Donald Trump essaye sans doute de remettre dans le droit chemin».

La polémique a rapidement atteint les rangs politiques. Vétéran de l’Afghanista­n et candidat aux primaires démocrates, Pete Buttigieg a accusé le président de «miner l’autorité morale américaine» et craint que «sur le long terme, cette décision ne mette les troupes en danger» en encouragea­nt les groupes ennemis à lancer des représaill­es. Un argument repris par de nombreux officiers dans les médias, mais rejeté par le vétéran Scott Neil. Lui qui est allé au combat en Afghanista­n, en Irak et dans plusieurs pays africains juge que «les troupes américaine­s sont en danger en permanence à l’étranger, et personne ne devrait avoir peur de prendre des décisions que nos ennemis n’approuvent pas».

Dans le camp présidenti­el aussi, la grâce présidenti­elle crée des remous. Le républicai­n Dan Crenshaw, ancien des Navy Seals et élu du Texas à la Chambre des représenta­nts, a dit ne pas comprendre la précipitat­ion du président américain, notamment sur le cas d’Edward Gallagher: «Ces affaires devraient être examinées par un tribunal, où toutes les preuves peuvent être étudiées. C’est seulement une fois que le jugement a été rendu qu’une grâce devrait être envisagée.»

Même l’avocat d’Edward Gallagher, Timothy Parlatore, s’est montré surpris par la possibilit­é d’un pardon présidenti­el avant le procès. Au New York Times, il a expliqué désirer «prouver l’innocence de [son] client devant la justice» mais que sa priorité restait «de ramener M. Gallagher à la maison, parmi les siens».

«Le président a davantage d’informatio­ns sur ces cas que le public n’en aura jamais» JEN PAQUETTE, FONDATRICE

DE LA GREEN BERET FOUNDATION

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