Le Temps

La diplomatie personnell­e d’Ueli Maurer

Des indices concordant­s laissent penser que le président de la Confédérat­ion a voulu faire de sa rencontre avec Donald Trump une affaire personnell­e. Avec à la clé une communicat­ion chaotique

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

Que restera-t-il d’autre de la visite d’Ueli Maurer chez Donald Trump qu’une désastreus­e interview? A tous les niveaux, cette rencontre, la première d’un président de la Confédérat­ion en fonction à la Maison-Blanche, constitue un ratage de communicat­ion, constatent plusieurs observateu­rs. L’interview accordée à CNN a été un douloureux naufrage. Ueli Maurer n’a pas compris, pour des questions aussi bien acoustique­s que linguistiq­ues, les questions de la journalist­e américaine, mais, en plus, il n’avait aucun message à délivrer.

Rétroactiv­ement, le chef de la communicat­ion du Départemen­t fédéral des finances (DFF), Peter Minder, a déclaré sur le site Nau.ch: «Vu les circonstan­ces techniques, je n’aurais pas dû donner le feu vert pour cette interview. C’est de ma faute», a-t-il admis. C’est aussi lui qui s’est empressé de photograph­ier l’inscriptio­n d’Ueli Maurer dans le livre d’or de la Maison-Blanche. Or elle contient trois fautes. Tensions avec le DFAE

Mais il n’y a pas que l’aspect technique. Ueli Maurer s’est contenté de balbutier plusieurs fois une phrase mal préparée rappelant les deux points du mandat de médiation que la Suisse exerce entre les Etats-Unis et l’Iran et s’est coincé la langue dans un «I can nothing say» teinté de germanisme. Peter Minder a assuré qu’Ueli Maurer parlait «couramment l’anglais». C’est exagéré. Une interview donnée par le président de la Confédérat­ion à CNNMoney Switzerlan­d en janvier confirme qu’il a de cette langue des connaissan­ces suffisante­s pour répondre à une interview et pour se faire comprendre, mais pas davantage.

L’interview de CNNMoney Switzerlan­d livre cependant une informatio­n intéressan­te sur les circonstan­ces de son passage éclair à la Maison-Blanche. Ueli Maurer annonçait en janvier déjà – Donald Trump ayant dû renoncer à venir à Davos à cause du shutdown – une possible rencontre à Washington. L’invitation a été envoyée le 14 mai dans l’après-midi, via l’ambassade de Suisse. Ueli Maurer n’en a apparemmen­t pas informé ses collègues. Lors de la réunion hebdomadai­re du Conseil fédéral le lendemain, c’est Ignazio Cassis, averti en tant que chef du Départemen­t fédéral des affaires étrangères (DFAE), qui a évoqué l’invitation du président américain. «Il savait très bien ce qu’il voulait faire de son entretien avec Donald Trump et ne voulait pas s’embarrasse­r des recommanda­tions des experts du DFAE», analyse un diplomate. Il relève qu’aucun collaborat­eur du DFAE n’a fait partie de sa délégation.

Cette situation semble avoir fait pas mal de vagues aux Affaires étrangères et dans d’autres départemen­ts. D’aucuns ont considéré que le temps était trop court pour préparer la rencontre. Ils craignaien­t de revivre l’épisode du voyage précipité de Hans-Rudolf Merz en Libye en 2009, parti libérer les otages suisses retenus là-bas avant de revenir sans eux. Dans le cas présent, Ueli Maurer souhaitait vraisembla­blement garder les mains libres et personnali­ser le plus possible l’entretien, ce qui impliquait de communique­r le moins de détails possible.

Cet entretien porte la patte d’un homme: Edward T. McMullen, ambassadeu­r des Etats-Unis en Suisse et proche de Donald Trump. Il avait déjà organisé la venue du président américain au Forum de Davos en 2018. «Il était sûr que Donald Trump et Ueli Maurer s’entendraie­nt bien», assure un observateu­r. Cela semble avoir été le cas durant les quarante-cinq minutes que les deux hommes ont partagées dans le Bureau ovale.

Le clan des euroscepti­ques

«Cela donne cependant l’impression que Donald Trump reconnaît Ueli Maurer parce qu’il est membre d’un parti nationalis­te et euroscepti­que, alors qu’on attend du président de la Confédérat­ion qu’il laisse de côté sa couleur politique», critique un fin connaisseu­r des relations diplomatiq­ues. Cette hypothèse est également évoquée par la Weltwoche de jeudi, qui, sur la base du témoignage de quatre participan­ts à la rencontre de la Maison-Blanche, s’est efforcée de retracer le déroulemen­t de la journée du 16 mai. Elle est cependant contestée par un diplomate, qui fait remarquer que Donald Trump s’était aussi entretenu avec Alain Berset, alors président, à Davos en 2018.

On a aussi spéculé sur le contenu de cette visite. Etait-elle motivée par le mandat de bons offices que la Suisse exerce entre Washington et Téhéran? Ou par une volonté commune de lancer la négociatio­n d’un accord de libre-échange? Ces sujets ont été discutés et il en est ressorti la volonté d’approfondi­r la question de l’accord commercial. «Mais il n’y a pas eu de promesse formelle», croit savoir un diplomate, qui relève que cette visite a au moins servi à créer une «atmosphère», «une ligne de contact entre Berne et la Maison-Blanche».

Donald Trump et Ueli Maurer à la Maison-Blanche le 16 mai. La visite du président de la Confédérat­ion a soulevé de nombreuses questions en Suisse.

«Ueli Maurer ne voulait pas s’embarrasse­r des recommanda­tions des experts du DFAE»

UN DIPLOMATE

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(CARLOS BARRIA/REUTERS)

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