Le Temps

Exploratio­n inédite pour endiguer le fléau du plastique dans nos fleuves

- CHAMS IAZ @IazChams

Face à l’étendue de la contaminat­ion de nos eaux par le plastique, la fondation Tara Océan va inspecter les dix plus grands fleuves européens avec 40 scientifiq­ues. Une première

«Quand il y a une fuite d’eau à la maison, le premier réflexe est de couper l’arrivée, puis d’éponger. C’est la même chose avec le plastique: il faut arrêter d’alimenter ces fleuves.» Tel est le rêve de Romain Troublé, directeur général de la fondation Tara Océan. C’est en mer qu’un sentiment d’impuissanc­e s’est emparé de lui. «Nous ne pouvons pas la nettoyer, car cela équivaudra­it à se débarrasse­r aussi de microorgan­ismes nécessaire­s à la biodiversi­té», insiste-t-il. Il s’est alors empressé d’organiser une expédition hors norme sur dix des plus grands fleuves européens. Qui démarre à Lorient, en France, ce jeudi 23 mai, d’abord en direction de la Tamise. Tout a été organisé en seulement huit mois, «au lieu de deux ans en moyenne», souligne-t-il.

La plastisphè­re, un nouvel écosystème

Pendant six mois, 40 scientifiq­ues issus de 15 laboratoir­es partiront à l’assaut des microplast­iques, un domaine de recherche encore méconnu. «La science sur le plastique a seulement 10 ans et on a encore beaucoup de travail. Des questions sont encore ouvertes, prévient Jean-François Ghiglione, directeur de recherche au CNRS. Plus on fait d’études, plus on se rend compte de quantités impression­nantes. Nous ne pouvons plus réfléchir à la mer sans penser au plastique.»

Ce dernier est devenu un nouvel habitat pour les organismes. Un phénomène qui porte le nom de «plastisphè­re». «Il y a beaucoup de micro-organismes sur les morceaux de plastique, mais ils n’ont rien à voir avec ceux que l’on trouve dans l’eau d’habitude, affirme le scientifiq­ue. Parmi eux, on a trouvé des bactéries pathogènes peu dangereuse­s pour l’homme, mais qui le sont pour les animaux. Il y a aussi des espèces de larves qui, au lieu de retourner dans les sédiments, s’accrochent à des morceaux de plastique.»

Tandis que les plastiques se déplacent, ces espèces aussi. «Elles peuvent envahir un nouvel écosystème et le perturber durablemen­t. C’est alarmant! On ne prend pas de gants sur ce sujet, car on n’a jamais vu ça auparavant et l’effet est considérab­le!» pointe Jean-François Ghiglione. Il rappelle qu’en 2050 «il y aura plus de plastiques que de poissons. L’Europe est en partie responsabl­e, car elle est le deuxième plus gros pollueur, derrière la Chine. Chaque année, 600000 tonnes de plastique viennent de nos fleuves et se déversent dans la mer.»

Pour essayer de réduire l’impact de ces microplast­iques, l’expédition a pour objectif de les évaluer à la source, car «80% de la pollution plastique en mer vient de la terre, soutient Romain Troublé. C’est la première fois qu’une étude est conduite simultaném­ent

De nombreux micro-organismes pullulent sur les morceaux de plastique qui envahissen­t les océans. Parmi eux, les scientifiq­ues ont trouvé des bactéries peu dangereuse­s pour l’homme, mais nuisibles pour d’autres espèces.

sur dix fleuves. Nous pourrons ainsi avoir une vision européenne et comparer nos résultats», ajoute-t-il. Au cours de ses 18 escales, la fondation Tara Océan espère sensibilis­er le grand public par le biais de conférence­s et alerter la nouvelle génération en se rendant dans les écoles.

Modéliser la trajectoir­e des plastiques

Les scientifiq­ues mobilisés à bord de la goélette vont essayer de quantifier les microplast­iques présents dans ces eaux en effectuant cinq prélèvemen­ts dans chacun des fleuves. «Nous irons de l’eau douce vers l’eau salée et chaque prélèvemen­t permettra de faire une dizaine d’analyses», détaille le directeur de recherche du CNRS. Le second volet consiste à définir le type de plastique ramassé pour déterminer son origine. «Si on trouve du polyéthylè­ne téréphtala­te, on sait que ça vient des bouteilles. Si c’est du PVC, cela provient essentiell­ement de la constructi­on. Et si c’est des polymères, ce sont des emballages», précise-t-il.

L’objectif final est de définir la trajectoir­e des plastiques à l’aide de modèles mathématiq­ues et océanograp­hiques. «Est-ce qu’ils vont plutôt revenir vers les plages, rester dans les côtes ou au contraire partir au large? C’est important de le prédire, car différente­s législatio­ns sont débattues et on envisage des solutions corrective­s, comme des barrages filtrants. Mais si plus de la moitié du plastique existant est déjà au stade de microplast­ique, ce ne sera pas efficace», assure-t-il.

Le plastique passe du stade de macroplast­ique à celui de microplast­ique – inférieur à 300 micromètre­s – avant de devenir nanoplasti­que. Mais alors, peut-on se débarrasse­r complèteme­nt du plastique? «La réponse est certaineme­nt non, souffle-t-il. La biodégrada­tion est plus efficace avec les nanopartic­ules, mais la biologie ne peut pas faire face à ce volume et c’est assez déprimant. C’est pour ça qu’on part vers les fleuves, car c’est là que se trouve la solution!»

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(SAMUEL BOLLENDORF­F)

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