Deutsche Bank face à ses actionnaires furieux
L’assemblée générale de la grande banque allemande a alimenté, ce jeudi à Francfort, la déception des actionnaires. Leur moral est plombé par la chute continue du cours de l’action. La direction croule sous les critiques
L’assemblée générale des actionnaires de Deutsche Bank s’annonçait agitée. Ce jeudi, au centre des congrès de Francfort, l’ambiance fut à la hauteur des attentes, houleuse et particulièrement désagréable pour la direction du premier institut bancaire allemand.
Christian Sewing, arrivé il y a tout juste un an à la tête de cet établissement à problèmes, a tout d’abord tenté d’amadouer les 8400 actionnaires présents dans la salle. «L’année 2018 a permis de stabiliser la banque et de la rendre de nouveau rentable, après trois années consécutives de pertes», a-t-il rappelé. En 2018, Deutsche Bank a en effet effectué un retour aux bénéfices nets, à hauteur de 341 millions d’euros (environ 382 millions de francs), loin des 735 millions de pertes de 2017. «Nous avons atteint tous les objectifs que nous nous étions donnés l’an dernier», a-t-il également rappelé, en évoquant notamment la réduction des coûts dans un établissement qui compte plus de 90000 salariés à travers le monde.
«Et ce n’est que le début», a promis Christian Sewing. Le patron de Deutsche Bank a confirmé la poursuite de la politique de restructuration, essentiellement dans les activités de banque d’investissement, autrefois section vedette mais devenue son talon d’Achille depuis la crise financière de 2008. «Nous sommes prêts à des coupes dures», a confirmé le patron à la tribune.
Entre modestie et confiance
Oscillant entre modestie et appels à la confiance, Christian Sewing n’a toutefois pas rassuré l’assistance. Tout l’après-midi se sont succédé au micro des dizaines d’actionnaires mécontents, à la fois de la stratégie, de la direction et de la plongée interminable du cours de l’action. A l’ouverture de cette assemblée générale, cette dernière valait 6,41 euros, soit «autant qu’un paquet de cigarettes», a constaté, dépité, l’actionnaire Karl-Walter Freitag, dans une tirade enflammée. «Depuis sept ans, nous faisons des efforts, mais nous ne voyons aucun résultat. Je ne crois plus un seul mot de votre part», a-t-il lancé sous les applaudissements d’une partie de la salle.
Le versement l’an dernier de 1,9 milliard d’euros de bonus à 643 salariés du groupe a aussi du mal à passer auprès des actionnaires qui, de leur côté, ont reçu 11 centimes de dividende par action, pour un total d’environ 230 millions d’euros. Au micro, Andreas Thomae, de la société d’investissement Deka, juge cette stratégie «immorale». «Offrir de tels bonus est un luxe que Deutsche Bank ne peut se permettre!» reproche-t-il.
Déçu, il l’est également au vu de la faiblesse des rendements des capitaux propres, qui ont difficilement atteint 0,5% en 2018. «Ceci est totalement inacceptable et très éloigné de l’objectif de 10%» affiché par la direction, fustige-t-il. Pour ce gestionnaire de fonds, ces mauvais résultats sont directement liés aux faiblesses de la banque d’investissement, dont les revenus ont chuté de 5% au dernier trimestre 2018. «Il est plus que nécessaire d’effectuer des ajustements dans ce domaine», ajoute-t-il. Dans la salle, en matière de stratégie, seul l’abandon du projet de fusion avec Commerzbank, deuxième établissement bancaire allemand,
KARL-WALTER FREITAG, ACTIONNAIRE semble faire l’unanimité. «Allier un aveugle à un malade aurait été un signe de faiblesse», résume un petit actionnaire.
A la tribune, Alexandra Annecke, de la société de fonds Union Investment, bat elle aussi en brèche le tableau positif dressé quelques heures plus tôt par Christian Sewing. «Quelle tristesse de voir ce qu’est devenue Deutsche Bank, note-t-elle. Notre concurrent JPMorgan fait 20 fois plus de bénéfices et sa capitalisation boursière est 20 fois plus importante que celle de Deutsche Bank. Nous ne nous plaçons même plus parmi les 100 premiers établissements bancaires du monde. Cette banque est devenue un colosse aux pieds d’argile», regrette-t-elle.
«Le pire président de l’histoire»
Dans la salle, une personne aimante particulièrement les critiques: Paul Achleitner. Cet Autrichien de 62 ans préside le conseil de surveillance depuis 2012 et est l’un des rares à avoir échappé à la valse des dirigeants ces dernières années. Mais pour combien de temps encore? Jeudi, les critiques fusaient sur sa gestion des nombreux scandales qui ébranlent l’établissement bancaire et qui pourraient encore lui coûter cher.
Dernier scandale en date, une impressionnante perquisition a eu lieu en novembre dans les locaux de la banque à Francfort, en lien avec des soupçons de blanchiment d’argent révélés par les Panama Papers. «Monsieur Sewing!» interpelle l’avocat d’affaires Markus Kienle. «Nous croyons que vous avez la capacité de faire les réformes nécessaires, mais avez-vous la bonne équipe pour cela? Vos prédécesseurs et votre équipe sont responsables de la situation actuelle», ajoute-t-il, en déclenchant une volée d’applaudissements. Encore plus direct, l’actionnaire Karl-Walter Freitag exige le retrait pur et simple de Paul Achleitner, «le pire président du conseil de surveillance de l’histoire de la banque».
Face à ces critiques, l’intéressé contre-attaque: «Ai-je commis des erreurs au cours des dernières années? Oui. Suis-je à l’origine de tout le mal? Non.»
Malgré cette avalanche de reproches et la défiance des cabinets de conseil aux investisseurs ISS et Glass Lewis, une majorité des actionnaires ont de nouveau renouvelé jeudi soir leur confiance au conseil de surveillance. «Nous devons donner un peu de temps à Christian Sewing et éviter d’affaiblir encore un peu plus cet établissement par un nouveau changement de direction», avait résumé dans la journée Klaus Nieding, vice-président de l’Association allemande de protection des actionnaires (DSW). Un répit de bon augure qui ne fera néanmoins pas oublier à la direction l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête.
«Depuis sept ans, nous faisons des efforts mais ne voyons aucun résultat. Je ne crois plus un seul mot de votre part»
Dans la salle, en matière de stratégie, seul l’abandon du projet de fusion avec Commerzbank semble faire l’unanimité