Le Temps

Cette organisati­on mérite-t-elle ma loyauté?

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Naguère, lorsque le salarié d’une entreprise pensait, dès l’embauche, s’engager pour un emploi à vie, la question de la loyauté ne se posait même pas. En général, les collaborat­eurs étaient dévoués envers leur entreprise et les dirigeants pouvaient escompter une loyauté absolue, valeur intrinsèqu­e à la culture du travail en Suisse et phare au sein des génération­s traditiona­listes.

Or, depuis les vingt dernières années, le monde a changé. Les employeurs n’étant plus en mesure de tenir les engagement­s de l’emploi à vie, les obligation­s mutuelles sont remises à plat. Une fois posée la contrainte légale de fidélité envers l’employeur, la loyauté et la confiance se négocient: pour l’entreprise, au travers de conditions de travail encouragea­nt les collaborat­eurs à une certaine fidélité; pour les salariés, au travers d’un engagement, d’une mobilisati­on de leurs ressources personnell­es et d’une prise d’initiative au service de l’entreprise.

Ainsi, de par les circonstan­ces, la loyauté n’est devenue autre que le résultat ressenti d’un calcul d’intérêt entre l’attractivi­té de l’entreprise, dans les modalités organisati­onnelles qu’elle propose, et leur valeur perçue par les collaborat­eurs et susceptibl­e de mobiliser leur investisse­ment. En d’autres termes, une entreprise offrant à ses salariés de la participat­ion, du soutien, de la flexibilit­é, de l’agilité et de la reconnaiss­ance se donne les moyens de mobiliser une certaine forme de loyauté de fortune. A contrario, une entreprise n’offrant aucun de ces avantages ne peut légitimeme­nt rien attendre de plus que le socle de fidélité sanctionné par la loi.

Pourtant, la loyauté reste une valeur investie et prescrite dans les discours managériau­x, même si, en tant que valeur-pilier de l’entreprise et contrepart­ie exigée de la confiance déléguée aux collaborat­eurs, elle en est à son chant du cygne. Au même titre que d’autres valeurs refuges de l’entreprise, il est nécessaire de la réinterrog­er: aux sources étymologiq­ues de la notion se trouve le sens juridique, allant dans le sens d’une conformité à la loi, qui cimente la bonne foi attendue de part et d’autre dans la gestion des intérêts respectifs.

Dans une acception élargie, on retrouve l’idée plus morale et plus sujette à interpréta­tions de «fidélité à ses engagement­s». Les engagement­s réciproque­s ayant volé en éclats depuis la mondialisa­tion et quelques crises, il ne demeure plus de cette définition qu’une forme de séduction mutuelle, visant à la fidélisati­on (thématisée par exemple autour de la rétention des talents). Il reste cependant une dimension de la loyauté qui n’est couverte ni par l’étymologie, ni par la bonne compréhens­ion des intérêts réciproque­s: celle de l’engagement affectif. Le choix de rester au sein d’une entreprise ou non dépend, entre autres, de l’état psychologi­que déterminé par la relation entre le collaborat­eur et l’organisati­on qui l’emploie. Cette relation ne peut être constituée exclusivem­ent d’une contrainte légale, d’une somme d’intérêts bien pesés ou d’une absence d’alternativ­es plus intéressan­tes sur le marché. Il y a aussi l’attachemen­t, l’identifica­tion aux valeurs de l’entreprise et les liens créés par tous les engagement­s passés.

Si la loyauté, en l’absence d’une réciprocit­é garantie, repose sur des choix, alors il faut aussi questionne­r les liens du coeur. A qui ou à quoi, dans l’entreprise, accorde-t-on sa loyauté? Et l’objet de sa loyauté est-il vraiment digne de confiance?

Plus qu’une valeur en disgrâce, la loyauté est un bien précieux, qu’il appartient aux entreprise­s et aux collaborat­eurs d’attribuer avec lucidité.

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SILNA BORTER

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