Le Temps

L’envers d’un conte de Noël

- A. DN

Arnaud Desplechin inscrit une histoire policière cruelle et désolante dans sa ville natale. Magnifique­ment porté par Roschdy Zem, Léa Seydoux et Sara Forestier, «Roubaix, une lumière» s’avère bouleversa­nt

Le reflet des guirlandes serpente sur la carrosseri­e d’une voiture. C’est tout ce qu’on verra de Noël. Car à Roubaix, 75% de zones classées à risques, taux de chômage de 45%, la Douce Nuit est aussi lugubre que les autres avec ses bagnoles brûlées et ses bagarres. Le commissair­e Daoud (Roschdy Zem) mène l’enquête sur un incendie criminel.

Depuis La Sentinelle (1992), Arnaud Desplechin, le plus passionnan­t des cinéastes français, creuse la veine d’une autofictio­n fantasmati­que, qu’il interrompt parfois pour une virée vers un film en costume (Esther Kahn) ou un western psychanaly­tique (Jimmy P.). Aujourd’hui, il retourne à Roubaix, sa ville natale, pour dévoiler le contrecham­p d’Un Conte de Noël, son plus beau film. Plus de maison familiale rassurante, mais la rue, le froid, la dèche…

Roubaix, une lumière, qui se base sur un documentai­re de Mosco Boucault, s’inscrit aux antipodes des séries télé françaises ou américaine­s. Le pittoresqu­e de Capitaine Marleau, l’efficacité positivist­e des Experts sont évacués. Tous les dossiers que le film évoque sont «vrais», et tristement minables. Le travail progresse lentement, patiemment à force d’interrogat­oires, de recoupemen­ts, de vérificati­ons. Misérables paumées

A côté de l’incendie, Daoud et son équipe mènent d’autres investigat­ions (une fugueuse, un violeur…) au cours desquelles le paysage social roubaisien se dessine dans sa désolante réalité. Tous les suspects ayant été innocentés, les policiers reviennent vers les voisines qui ont donné l’alerte, Claude (Léa Seydoux) et Marie (Sara Forestier), deux misérables paumées qui se contredise­nt, reconnaiss­ent avoir visité l’appartemen­t d’à côté, avouent enfin avoir étranglé la propriétai­re octogénair­e.

Elles sont amoureuses, elles s’accrochent l’une à l’autre comme des naufragés à une bouée; chacune s’avère toutefois prête à enfoncer sa partenaire pour sauver sa peau. Face à Roschdy Zem, alliant la puissance du fauve à l’immense humanité, les deux comédienne­s au visage nu composent des personnage­s pathétique­s de bourreaux et victimes.

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