Climat et antispécistes, la convergence des luttes
Samedi a lieu à Zurich une marche pour les droits des animaux. Les larges mobilisations climatiques profiteront-elles à la cause antispéciste?
■ Darah Heiligtag, une des organisatrices zurichoises, pense que les deux luttes se recoupent, l’élevage étant un important émetteur de gaz à effet de serre
■ «Arrêter de manger de la viande, c’est un engagement de tous les jours, pas seulement durant les vacances», prévient celle qui annonce une communication moins provocante
Militante antispéciste, Sarah Heiligtag a créé le refuge animalier Hof Narr, bien connu en Suisse alémanique. Elle fait partie du collectif qui organise samedi à Zurich une marche pour les droits des animaux. Outre la fin de l’exploitation animale, l’événement affiche un autre objectif, la préservation de la planète. Alors que la «cause climatique» occupe le terrain ces derniers mois, les antispécistes font valoir leurs revendications qui, bien souvent, la rejoignent.
Les manifestants pro-climat sont dans la rue depuis plusieurs mois. Vous font-ils de l’ombre? Je ne vois pas ça comme une concurrence, mais plutôt comme une stimulation. Le fait est que les deux sujets sont intrinsèquement liés: l’élevage est responsable de 14,5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, il nécessite d’énormes ressources en eau et contribue à polluer les sols, de même que l’agriculture intensive. Pour réduire son empreinte écologique, il faut arrêter de prendre l’avion, mais aussi examiner sa consommation de viande et soutenir une agriculture durable. On ne peut pas se battre pour nous sans prendre en compte les animaux.
L’argument du climat n’était pourtant pas prédominant auparavant, n’êtesvous pas en train de surfer sur la vague? Pour certains militants, la souffrance animale reste la priorité absolue, c’est vrai. Ils ne voient pas toujours ce qu’il y a derrière, les effets néfastes sur l’environnement, l’impact des filières bovines. Je tente de ne pas réfléchir par exclusion. A partir du moment où les raisons éthiques, sanitaires et écologiques de cesser l’exploitation animale convergent, résoudre une problématique en ignorant les autres serait contre-productif.
Vous attendez quelque 2000 personnes ce samedi, les manifestations pour le climat en rassemblent six fois plus. Pourquoi? Il y a un effet d’engouement générationnel. Le climat touche tout le monde, il ratisse plus large que notre propos, qui reste encore une niche. Par ailleurs, devenir antispéciste requiert des efforts conséquents, arrêter de manger de la viande est un engagement de tous les jours, pas seulement durant les vacances.
Quels slogans allez-vous entonner à la Helvetiaplatz? Nous voulons donner un message aussi positif que possible. Plutôt que d’accuser les bouchers d’être des meurtriers, nous rappellerons qu’un autre monde, plus respectueux, plus durable, est possible et que le futur de nos enfants est aussi celui des animaux. Certains activistes écologistes nous rejoindront et tous ne sont pas antispécistes ou véganes. De même, j’ai moi-même participé à plusieurs grèves pour le climat.
Les actions coups-de-poing, le faux sang, l’exploitation animale comparée à l’Holocauste, c’est terminé? La provocation est très efficace pour faire réagir les médias mais, à long terme, ce n’est pas suffisant pour éveiller les consciences. Je me concentre personnellement sur un travail de sensibilisation dans ma ferme végane, un sanctuaire animalier où vivent des poules, des porcs et des chevaux sauvés de l’abattoir. Lorsque les enfants que j’accueille comprennent qu’un porc n’est pas un animal grégaire et sale mais au contraire doux et intelligent, j’ai gagné. Aucun profit n’est tiré de ces animaux, je m’en occupe jusqu’à leur mort naturelle et tourne avec des cultures maraîchères, des cours d’éthique et un système de parrainage. Chaque semaine, des paysans m’appellent pour me dire qu’ils veulent changer de voie, que leur travail quotidien les fait souffrir, qu’ils pleurent lorsqu’ils voient un veau séparé de sa mère.
Votre modèle de ferme est encore rare. Quel est l’état du mouvement antispéciste en Suisse? Au cours des quatre dernières années, le mouvement a pris de l’ampleur. On questionne la place des animaux dans toutes les strates de la société, des menus véganes sont instaurés dans certaines cantines, le sujet n’est plus tabou, il est pris au sérieux. Mais il reste beaucoup à faire, au niveau politique surtout. C’est-à-dire? L’Etat doit aider financièrement les éleveurs qui le souhaitent à se reconvertir dans des fermes véganes et biologiques. Il faut aussi introduire des cours d’éthique à l’école. Notre pays souffre encore de cette image d’Epinal où les vaches seraient libres et heureuses dans les prés. C’est bien évidemment faux, mais beaucoup de gens ne savent pas dans quelles conditions est produite la viande qu’ils achètent sous vide au supermarché ni comment fonctionne la filière du lait. ▅