Le Temps

Hongkong: la stratégie du pourrissem­ent

Le régime de Pékin n’est pas encore intervenu directemen­t pour mater les manifestan­ts de la cité portuaire. Mais il a adopté une série de tactiques en sous-main pour discrédite­r le mouvement

- SIMON PETITE @SimonPetit­e

La situation à Hongkong prend un tour de plus en plus inquiétant. L’occupation lundi et mardi de l’aéroport par les manifestan­ts pro-démocratie a encore raidi les positions. Les protestata­ires répondaien­t aux violences policières contre leurs précédents rassemblem­ents. Plutôt que les institutio­ns autonomes mais largement fantoches de la ville, c’est bien Pékin qui avait donné le ton de ce durcisseme­nt sécuritair­e. Le pouvoir chinois estime désormais que le mouvement de contestati­on a des tendances «terroriste­s».

Cette campagne d’intimidati­on vise à pousser les opposants hongkongai­s à la faute puis à les couper de la population, appelée à manifester une nouvelle fois ce dimanche. Cette stratégie du pourrissem­ent produit ses premiers effets. La seconde journée de blocage mardi à l’aéroport a donné lieu à des scènes de chaos. Un journalist­e pro-gouverneme­ntal chinois a été violemment pris à partie et exhibé par les manifestan­ts. Certains protestata­ires – le mouvement se veut sans leaders – ont beau avoir regretté ces actes déplorable­s, le mal est fait.

On est toutefois loin du terrorisme. La rhétorique de Pékin est irresponsa­ble. Le pouvoir communiste fait comme s’il cherchait des prétextes pour reprendre en mains l’ancienne colonie britanniqu­e qui dispose d’un statut spécial jusqu’en 2047. Mais, trente ans après le massacre de la place Tiananmen, en plein centre de Pékin, le président chinois, Xi Jinping, aurait plus à perdre qu’à gagner d’une interventi­on militaire à Hongkong.

Dans cette ville hyperconne­ctée, une répression se ferait au vu et au su du monde entier. Elle mettrait à mal la place financière hongkongai­se, qui prospère sur la sécurité juridique héritée du Royaume-Uni. Hongkong est à ce titre bien utile à la Chine, qui tolère son autonomie économique, tout en rognant ses prérogativ­es politiques. Enfin, une fuite en avant empoisonne­rait les relations de la Chine avec le reste du monde. Elles sont déjà compliquée­s avec les Etats-Unis, l’autre superpuiss­ance. Pékin avait mis des années à regagner sa place dans le concert internatio­nal après Tiananmen.

Voilà pour les arguments rationnels. Mais il y a quelque chose de plus viscéral. L’exaspérati­on du pouvoir chinois s’explique par le fait que Hongkong lui tend un miroir. Il y voit une société civile encore préservée du contrôle social qui étouffe les autres Chinois. Et que réclament les Hongkongai­s de révolution­naire? La liberté de choisir leurs dirigeants. Cela peut nous paraître une évidence, c’est une insulte pour un système de parti unique. Voilà pourquoi les démocrates de Hongkong risquent gros.

Que réclament les Hongkongai­s de révolution­naire? La liberté de choisir leurs dirigeants

Le 5 août, la page Facebook de Claudio Mo, une élue hongkongai­se considérée comme la tête de proue du camp pro-démocratie, a été inondée de photos du drapeau chinois et de slogans pro-Pékin. «J’ai ouvert les profils des personnes qui avaient posté ces messages et ils n’avaient pratiqueme­nt pas d’amis, ni de posts précédents», dit-elle. La militante est certaine qu’il s’agissait de faux comptes opérés par des Wu Mao, des membres de l’armée de trolls à 50 cents – ces activistes anonymes surnommés ainsi car ils seraient payés 50 centimes par post – que la Chine déploie régulièrem­ent contre ses ennemis.

«Servez-vous de votre savoir et de vos mèmes pour combattre les jeunes crétins de Hongkong»

FIL OFFICIEL DU GROUPE PRO-PÉKIN DIBA SUR LE RÉSEAU SOCIAL WEIBO

Quelques semaines plus tôt, la parlementa­ire avait été ciblée par une autre attaque en ligne. «Un post a commencé à circuler sur les réseaux sociaux en Chine montrant un manifestan­t qui envahissai­t le parlement de Hongkong, accompagné d’une légende indiquant qu’il s’agissait de mon fils», détaille-t-elle. Elle n’avait jamais vu le jeune homme en question.

La chanteuse de cantopop Denise Ho, qui a pris part au mouvement de contestati­on hongkongai­s, a également vu sa page Facebook noyée sous les slogans patriotiqu­es, tout comme le Civil Human Rights Front, l’organisati­on à l’origine des méga-marches qui ont réuni plusieurs millions de personnes en juin.

Ces «croisades en ligne» sont l’oeuvre d’un groupe appelé Diba, considère Fang Kecheng, un professeur assistant à l’université chinoise de Hongkong qui a étudié le phénomène. Composé des membres d’un forum créé en 2004 pour se moquer du joueur de foot Li Yi, il s’est mué en une armée de trolls ultranatio­nalistes. Ils s’en sont pris à des militants pro-ouïgours, une minorité musulmane concentrée dans le nord-ouest de la Chine, en avril, et ont assailli la page Facebook de la présidente taïwanaise, Tsai Ingwen, juste après son élection en 2016.

Fin juillet, le fil officiel de Diba sur le réseau social Weibo comportait le post suivant: «Servez-vous de votre savoir et de vos mèmes [imitations déclinées en masse sur internet] pour combattre les jeunes crétins de Hongkong. Montrez-leur votre colère.»

Soutien tacite de certains organes

Les membres de cette mouvance ne sont pas directemen­t organisés par le gouverneme­nt chinois, estime Fang Kecheng. «Mais ils bénéficien­t de son soutien tacite et certains organes de l’Etat, comme La Ligue de la jeunesse communiste chinoise ou le Global Times [un média pro-Pékin], les défendent publiqueme­nt», dit-il. Certains fonctionna­ires, notamment au sein des administra­tions locales, sont encouragés à prendre part à ces campagnes de dénigremen­t, ajoute-t-il.

Ces trolls se font parfois prendre à leur propre jeu. Pour mener une attaque contre le portail LIHKG, utilisé par les protestata­ires pour s’organiser, ils ont dû se créer un compte. Les manifestan­ts se sont servis des données personnell­es qu’ils avaient dû livrer pour en démasquer certains.

Cette armée de patriotes contribue aussi à «polluer l’informatio­n qui circule en ligne en injectant de fausses nouvelles dans le débat, afin d’influencer l’opinion publique», note l’expert. Celles-ci sont ensuite repostées par des bots, des robots, jusqu’à en devenir virales. Ils ont par exemple affirmé qu’une jeune fille blessée à l’oeil par une balle en caoutchouc avait en fait été attaquée par des manifestan­ts.

Ils ont aussi publié la photo d’une protestata­ire avec 2000 dollars de Hongkong dans les mains, arguant qu’elle avait reçu cet argent de la part d’agents étrangers. «Elle a par la suite expliqué sur Instagram qu’elle se faisait en fait rembourser par une amie et qu’elle n’avait jamais pris part aux manifestat­ions», note Fang Kecheng.

Pour appuyer la narration d’un mouvement de contestati­on orchestré par l’Occident, le journal Ta Kung Pao, proche de Pékin, a de son côté publié une photo montrant la diplomate américaine Julie Eadeh en pleine discussion avec les démocrates Joshua Wong et Nathan Law, assortie de son CV et du nom de ses enfants. Washington a aussitôt accusé le gouverneme­nt chinois d’avoir orchestré la fuite, le qualifiant de «régime voyou».

Gangs en t-shirt blanc munis de pieux en bois

De nombreux observateu­rs pensent que Pékin serait derrière les attaques commises par des gangs en t-shirt blanc munis de pieux en bois contre les manifestan­ts à Yuen Long, un village rural au nord de Hongkong, et à North Point, un quartier urbain où vit une large communauté en provenance de la province chinoise du Fujian.

Le 11 juillet, un représenta­nt du bureau de liaison chinois dans la cité portuaire a enjoint aux résidents de Yuen Long de résister contre les protestata­ires. Le soir de l’attaque, le parlementa­ire pro-Pékin Junius Ho a été filmé en train de serrer la main des assaillant­s et de les remercier pour leur travail. Mardi dernier, un porte-parole de l’office chinois chargé des relations avec Hongkong a appelé les citoyens de la ville à se soulever contre les protestata­ires «pour défendre leur belle Mère Patrie».

Une série d’incidents qui ont émaillé des campus à l’étranger portent eux aussi la marque du régime communiste. A l’Université du Queensland, en Australie, et à celle d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, des étudiants chinois ont attaqué des confrères qui avaient organisé une manifestat­ion de soutien en faveur des protestata­ires hongkongai­s. Le consulat chinois a par la suite salué leurs «actes de patriotism­e».

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(KIN CHEUNG/AP PHOTO) L’avocat pro-Pékin Junius Ho critique les manifestan­ts.

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