Hongkong: la stratégie du pourrissement
Le régime de Pékin n’est pas encore intervenu directement pour mater les manifestants de la cité portuaire. Mais il a adopté une série de tactiques en sous-main pour discréditer le mouvement
La situation à Hongkong prend un tour de plus en plus inquiétant. L’occupation lundi et mardi de l’aéroport par les manifestants pro-démocratie a encore raidi les positions. Les protestataires répondaient aux violences policières contre leurs précédents rassemblements. Plutôt que les institutions autonomes mais largement fantoches de la ville, c’est bien Pékin qui avait donné le ton de ce durcissement sécuritaire. Le pouvoir chinois estime désormais que le mouvement de contestation a des tendances «terroristes».
Cette campagne d’intimidation vise à pousser les opposants hongkongais à la faute puis à les couper de la population, appelée à manifester une nouvelle fois ce dimanche. Cette stratégie du pourrissement produit ses premiers effets. La seconde journée de blocage mardi à l’aéroport a donné lieu à des scènes de chaos. Un journaliste pro-gouvernemental chinois a été violemment pris à partie et exhibé par les manifestants. Certains protestataires – le mouvement se veut sans leaders – ont beau avoir regretté ces actes déplorables, le mal est fait.
On est toutefois loin du terrorisme. La rhétorique de Pékin est irresponsable. Le pouvoir communiste fait comme s’il cherchait des prétextes pour reprendre en mains l’ancienne colonie britannique qui dispose d’un statut spécial jusqu’en 2047. Mais, trente ans après le massacre de la place Tiananmen, en plein centre de Pékin, le président chinois, Xi Jinping, aurait plus à perdre qu’à gagner d’une intervention militaire à Hongkong.
Dans cette ville hyperconnectée, une répression se ferait au vu et au su du monde entier. Elle mettrait à mal la place financière hongkongaise, qui prospère sur la sécurité juridique héritée du Royaume-Uni. Hongkong est à ce titre bien utile à la Chine, qui tolère son autonomie économique, tout en rognant ses prérogatives politiques. Enfin, une fuite en avant empoisonnerait les relations de la Chine avec le reste du monde. Elles sont déjà compliquées avec les Etats-Unis, l’autre superpuissance. Pékin avait mis des années à regagner sa place dans le concert international après Tiananmen.
Voilà pour les arguments rationnels. Mais il y a quelque chose de plus viscéral. L’exaspération du pouvoir chinois s’explique par le fait que Hongkong lui tend un miroir. Il y voit une société civile encore préservée du contrôle social qui étouffe les autres Chinois. Et que réclament les Hongkongais de révolutionnaire? La liberté de choisir leurs dirigeants. Cela peut nous paraître une évidence, c’est une insulte pour un système de parti unique. Voilà pourquoi les démocrates de Hongkong risquent gros.
Que réclament les Hongkongais de révolutionnaire? La liberté de choisir leurs dirigeants
Le 5 août, la page Facebook de Claudio Mo, une élue hongkongaise considérée comme la tête de proue du camp pro-démocratie, a été inondée de photos du drapeau chinois et de slogans pro-Pékin. «J’ai ouvert les profils des personnes qui avaient posté ces messages et ils n’avaient pratiquement pas d’amis, ni de posts précédents», dit-elle. La militante est certaine qu’il s’agissait de faux comptes opérés par des Wu Mao, des membres de l’armée de trolls à 50 cents – ces activistes anonymes surnommés ainsi car ils seraient payés 50 centimes par post – que la Chine déploie régulièrement contre ses ennemis.
«Servez-vous de votre savoir et de vos mèmes pour combattre les jeunes crétins de Hongkong»
FIL OFFICIEL DU GROUPE PRO-PÉKIN DIBA SUR LE RÉSEAU SOCIAL WEIBO
Quelques semaines plus tôt, la parlementaire avait été ciblée par une autre attaque en ligne. «Un post a commencé à circuler sur les réseaux sociaux en Chine montrant un manifestant qui envahissait le parlement de Hongkong, accompagné d’une légende indiquant qu’il s’agissait de mon fils», détaille-t-elle. Elle n’avait jamais vu le jeune homme en question.
La chanteuse de cantopop Denise Ho, qui a pris part au mouvement de contestation hongkongais, a également vu sa page Facebook noyée sous les slogans patriotiques, tout comme le Civil Human Rights Front, l’organisation à l’origine des méga-marches qui ont réuni plusieurs millions de personnes en juin.
Ces «croisades en ligne» sont l’oeuvre d’un groupe appelé Diba, considère Fang Kecheng, un professeur assistant à l’université chinoise de Hongkong qui a étudié le phénomène. Composé des membres d’un forum créé en 2004 pour se moquer du joueur de foot Li Yi, il s’est mué en une armée de trolls ultranationalistes. Ils s’en sont pris à des militants pro-ouïgours, une minorité musulmane concentrée dans le nord-ouest de la Chine, en avril, et ont assailli la page Facebook de la présidente taïwanaise, Tsai Ingwen, juste après son élection en 2016.
Fin juillet, le fil officiel de Diba sur le réseau social Weibo comportait le post suivant: «Servez-vous de votre savoir et de vos mèmes [imitations déclinées en masse sur internet] pour combattre les jeunes crétins de Hongkong. Montrez-leur votre colère.»
Soutien tacite de certains organes
Les membres de cette mouvance ne sont pas directement organisés par le gouvernement chinois, estime Fang Kecheng. «Mais ils bénéficient de son soutien tacite et certains organes de l’Etat, comme La Ligue de la jeunesse communiste chinoise ou le Global Times [un média pro-Pékin], les défendent publiquement», dit-il. Certains fonctionnaires, notamment au sein des administrations locales, sont encouragés à prendre part à ces campagnes de dénigrement, ajoute-t-il.
Ces trolls se font parfois prendre à leur propre jeu. Pour mener une attaque contre le portail LIHKG, utilisé par les protestataires pour s’organiser, ils ont dû se créer un compte. Les manifestants se sont servis des données personnelles qu’ils avaient dû livrer pour en démasquer certains.
Cette armée de patriotes contribue aussi à «polluer l’information qui circule en ligne en injectant de fausses nouvelles dans le débat, afin d’influencer l’opinion publique», note l’expert. Celles-ci sont ensuite repostées par des bots, des robots, jusqu’à en devenir virales. Ils ont par exemple affirmé qu’une jeune fille blessée à l’oeil par une balle en caoutchouc avait en fait été attaquée par des manifestants.
Ils ont aussi publié la photo d’une protestataire avec 2000 dollars de Hongkong dans les mains, arguant qu’elle avait reçu cet argent de la part d’agents étrangers. «Elle a par la suite expliqué sur Instagram qu’elle se faisait en fait rembourser par une amie et qu’elle n’avait jamais pris part aux manifestations», note Fang Kecheng.
Pour appuyer la narration d’un mouvement de contestation orchestré par l’Occident, le journal Ta Kung Pao, proche de Pékin, a de son côté publié une photo montrant la diplomate américaine Julie Eadeh en pleine discussion avec les démocrates Joshua Wong et Nathan Law, assortie de son CV et du nom de ses enfants. Washington a aussitôt accusé le gouvernement chinois d’avoir orchestré la fuite, le qualifiant de «régime voyou».
Gangs en t-shirt blanc munis de pieux en bois
De nombreux observateurs pensent que Pékin serait derrière les attaques commises par des gangs en t-shirt blanc munis de pieux en bois contre les manifestants à Yuen Long, un village rural au nord de Hongkong, et à North Point, un quartier urbain où vit une large communauté en provenance de la province chinoise du Fujian.
Le 11 juillet, un représentant du bureau de liaison chinois dans la cité portuaire a enjoint aux résidents de Yuen Long de résister contre les protestataires. Le soir de l’attaque, le parlementaire pro-Pékin Junius Ho a été filmé en train de serrer la main des assaillants et de les remercier pour leur travail. Mardi dernier, un porte-parole de l’office chinois chargé des relations avec Hongkong a appelé les citoyens de la ville à se soulever contre les protestataires «pour défendre leur belle Mère Patrie».
Une série d’incidents qui ont émaillé des campus à l’étranger portent eux aussi la marque du régime communiste. A l’Université du Queensland, en Australie, et à celle d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, des étudiants chinois ont attaqué des confrères qui avaient organisé une manifestation de soutien en faveur des protestataires hongkongais. Le consulat chinois a par la suite salué leurs «actes de patriotisme».
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