La mode des plages en ville atteint Lugano
Après Paris, Berlin et Genève, la capitale financière tessinoise aura-t-elle son étendue de sable en plein centre? Une perspective qui suscite d’ores et déjà la controverse
Une plage au centre-ville de Lugano? L’idée a été lancée le premier janvier dernier par Alessio Petralli, linguiste et directeur de la Fondation Möbius qui faisait notamment valoir le succès de la nouvelle plage des Eaux-Vives à Genève. Dans la foulée des grandes villes – Londres, Berlin, Paris, New York… – qui dotent leur centre d’une étendue de sable, le Tessinois imagine une plage le long du Ceresio pour qui veut se baigner, se balader ou prendre l’apéro.
«Il est important de créer un contact plus étroit entre les citoyens et le lac, et de ranimer la vie en ville», soutient Alessio Petralli, qui invite les autorités municipales à «passer au concret, comme on a su le faire pour l’Université de la Suisse italienne (USI) et le Centre culturel de Lugano (LAC)», deux rêves devenus fleurons de l’orgueil tessinois. Malgré l’enthousiasme suscité par une telle initiative, des difficultés à surmonter en vue de sa réalisation s’annoncent déjà.
Pas une solution
Si l’idée devait faire son chemin, la Société tessinoise pour l’art et la nature (STAN) pourrait faire recours, prévient son vice-président, Benedetto Antonini. Pour lui, une plage ne représente pas du tout une solution pour «sauver une ville en pleine décadence et en perte de vitesse, estime-t-il, évoquant le déclin de la population et l’écroulement du secteur bancaire. Ce ne sont pas des gens en costume de bain qui vont rendre le centreville plus attrayant.»
Selon Benedetto Antonini, la transformation de la rive du lac au centre-ville se heurterait à de nombreux obstacles juridiques, ainsi qu’à des difficultés techniques certaines: «Le lac est loin d’être tranquille, il y a parfois des vents et des vagues terribles qui obligeraient de régulièrement fournir la plage en sable.» L’exemple de Genève ne le convainc pas davantage: «Les cartes topographiques montrent que, dans le Léman, il n’y a pratiquement pas de dénivellation, tandis qu’ici, les 200 premiers mètres du rivage se caractérisent par une pente de 50%. Pour le confort d’éventuels baigneurs, il faudrait une montagne de matériel.»
Lors d’un récent débat à la Bibliothèque cantonale de Lugano, Urs Lüchinger, géologue et président de Federpesca Ticino, faisait effectivement valoir que, en raison de contraintes géologiques, une plage ne peut surgir n’importe où. «Par exemple, une portion du lac héberge l’écosystème le plus complexe du Ceresio; ailleurs, la dénivellation passe abruptement de 5 à 20 mètres.» Selon lui, deux tronçons, de 150 et 180 m respectivement, seraient adéquats pour accueillir une «rive naturelle accessible à la population».
Architecte paysagiste de renommée internationale, Andreas Kipar préfère le concept anglophone de waterfront, «qui va au-delà de la plage». «Il s’agit de se réapproprier l’espace public, d’envisager un bord de l’eau comme une somme d’espaces à vivre ensemble», indique-t-il.
A Lugano, il faut penser la ville et le bord du lac dans dix, trente ou cinquante ans, en tenant compte du problème principal, le trafic dément sur la route qui longe le Ceresio, relève Luca Gambardella, directeur de l’Institut Dalle Molle de recherche en intelligence artificielle (ISDEA). Dès 1957, l’architecte Mario Botta parlait de faire passer la route par un tunnel, plaçant également les stationnements sous terre, rappelle-t-il. «L’idée paraissait complexe et coûteuse à l’époque mais, aujourd’hui, nous disposons de nouvelles ressources.» L’intelligence artificielle pourrait donner un coup de pouce, «par exemple pour rapidement formuler des hypothèses, simuler et évaluer des scénarios, ou encore contrôler le trafic avec des feux de circulation intelligents».
Un maire tiède
Quant à Marco Borradori, le maire de Lugano (Ligue des Tessinois), s’il salue «le courage et la puissante idée d’Alessio Petralli qui a ouvert la voie pour discuter le futur de la rive du lac à Lugano», il se déclare «tiède et sceptique» à l’idée d’une plage. Le syndic précise qu’il ne «partage qu’à 30% cette perspective, qui banaliserait le territoire de la ville». Il estime néanmoins que le trafic le long du lac doit être modéré et que le bord de l’eau doit être rendu plus accessible aux piétons. Dans cette optique, il a promis que «des solutions créatives allant de ce sens», fruits d’une étude commandée par la ville, seront bientôt présentées.
▅
«Il est important de créer un contact plus étroit entre les citoyens et le lac»
ALESSIO PETRALLI, LINGUISTE ET DIRECTEUR DE LA FONDATION MÖBIUS