Le Panama, champ de batailles commerciales
Le petit Etat d’Amérique centrale, dont la capitale célèbre ses 500 ans ce jeudi, est surtout connu pour son canal, point de passage crucial pour les échanges internationaux. Il fait face aujourd’hui à de nombreux défis, en pleine guerre commerciale
Le Panama, dont la capitale fête son demi-millénaire jeudi 15 août, vit une petite révolution. Ces dernières années, la Chine était le deuxième pays en tonnage à emprunter le canal, loin toutefois derrière les Etats-Unis. Surprise, au mois de février, la guerre commerciale entre Washington et Pékin a relégué l’Empire du Milieu à la troisième place avec 24,2 millions de tonnes transportées, derrière le Japon (25,7 millions de tonnes) et les Etats-Unis (125,7 millions de tonnes).
Une première! Elle devra cependant être confirmée d’ici à quelques semaines. Pour avoir les chiffres définitifs, «il faudra attendre la fin de notre année fiscale fin septembre», note Sylvia de Merrucci. Elle est la vice-présidente et analyste de marché de l’Autorité du canal de Panama (ACP), qui administre le canal depuis que les Etats-Unis ont rendu ce dernier au Panama le 31 décembre 1999.
Sylvia de Merruci confie que si la Chine a cessé d’acheter du gaz naturel aux États-Unis, «le Japon a racheté les chargements chinois». Tokyo aligne 3302 navires de marine marchande, contre 2517 pour la Chine, selon le site spécialisé Marine-marchande.net. Les Japonais réussissent cette année une percée dans le transport maritime au Panama, mais ils ne sont que peu présents économiquement dans le pays. Car le petit Panama, 4,2 millions d’habitants et un produit intérieur brut de 65 milliards de dollars, est surtout devenu le théâtre d’une guerre d’influence entre Washington et l’Empire du Milieu.
Au centre des deux puissances
Longtemps arrière-cour des Etats-Unis, qui en a fait un protectorat avec des bases militaires tout au long du XXe siècle, le Panama voit désormais s’accroître l’influence de la Chine, omniprésente dans le quotidien de ses habitants. Si cette présence est historique dans les commerces, restaurants et supermarchés du quartier de San Felipe près du Casco Viejo, les ressortissants chinois se sont aussi installés dans un nouveau quartier, El Dorado. «En quelques années, ils ont occupé El Dorado et ils s’étendent de plus en plus», confie Jonathan, un jeune Espagnol du Panama. Les Etats-Unis ne s’y trompent pas. Dans une visite en octobre dans la capitale, Mike Pompeo a dénoncé «les activités de prédation économiques» des entreprises chinoises.
Reste qu’à l’époque où ce passage était sous protectorat américain, Washington n’a reversé «que 1,8 milliard de dollars à l’Etat panaméen en 85 ans, relève Dazell
«Ici, les banques font ce qu’elles veulent» UNE EMPLOYÉE DU QUARTIER FINANCIER
Marshall, guide au canal de Panama. Pour la seule année 2018, l’ACP lui a versé 1,5 milliard de dollars», compare-t-il.
La guerre commerciale entre Washington et Pékin n’est pas le seul défi du pays, à l’heure du 500e anniversaire de sa capitale. Ciudad de Panama, ou Panama City, compte 93 banques et des dépôts de 120 milliards de dollars. Les tours des établissements financiers colombiens, chinois, canadiens ou Panaméens se toisent. De l’argent pas toujours propre. «Ici, les banques font ce qu’elles veulent», confie une employée du quartier financier. Le scandale des Panama Papers n’a rien changé.
Arrivé à la présidence du pays début juillet, Laurentino Cortizo doit dans le même temps faire face à un ralentissement brutal de la croissance: atteignant une moyenne annuelle de 7,2% entre 2001 et 2013, elle est tombée à 3,7% l’an dernier et devrait s’élever à 5% cette année, selon le FMI.
Un modèle en danger?
Autre défi, la corruption, endémique. «Dix familles contrôlent 90% de l’économie du pays», confie Kevin Chesnais, directeur général de la compagnie maritime Carribean Feeder Services, établi au Panama depuis six ans. Malgré l’un des PIB par habitant les plus élevés d’Amérique centrale à 15000 dollars, le pays connaît de fortes inégalités, avec un taux de pauvreté de 22% en 2016 (derniers chiffres). Le taux de chômage de 6,4% masque les disparités entre la capitale et le reste du pays. «Il y a une fracture sociale et cela a été l’un des enjeux de la dernière élection présidentielle», commente une source informée.
Quel avenir pour le pays? Selon la Banque mondiale, le Panama est un «modèle qui pourrait être en danger, car l’économie s’est développée jusqu’ici grâce au transit sur le canal et aux investissements dans les infrastructures». ▅