Bartók et musique française en fête à Gstaad
A mi-parcours du Gstaad Menuhin Festival, les concerts se hissent à un haut niveau. La musique de chambre trouve un écrin idéal dans les églises de Saanen et de Rougemont
Briser une corde en plein concert, quelle galère! Le premier violon du Quatuor Belcea, Corina Belcea, a essuyé cet incident lors d’un concert avec ses trois complices lundi soir, à l’église de Rougemont. Soudain, il y a eu un «toc» dans le troisième mouvement du Quatuor No 3 op. 18 de Beethoven. Résultat: elle a dû se lever et se rendre dans les coulisses pour remplacer la corde. L’altiste Krzysztof Chorzelski en a profité pour prendre la parole face au public et donner quelques explications sur le Quatuor à cordes No 6 de Bartók. Une oeuvre poignante composée en 1939 au début de la guerre et alors que sa mère allait mourir – les premières esquisses ayant été réalisées à Saanen.
Un registre plus ludique
A mi-parcours du Gstaad Menuhin Festival, les concerts s’enchaînent à un rythme cadencé. Les églises de Rougemont et de Saanen se prêtent admirablement à la musique de chambre. D’emblée, le Quatuor Belcea s’affirme avec musicalité dans le Quatuor No 3 op. 18 de Beethoven. La fusion des sonorités, le soin porté à l’accentuation, l’individualité propre à chaque membre du quatuor – tout en cultivant un jeu d’ensemble admirable – témoignent de leur familiarité avec ce répertoire. Le mouvement lent est très beau, phrases énoncées avec calme et éloquence; le Scherzo (assorti d’un Trio très original) et le Finale, vif, énergique, basculent dans un registre plus ludique.
Vient ensuite le 6e Quatuor de Bartók, avec cette phrase sinueuse, introvertie, inquiète, «triste», que l’on entend exposée par l’alto au tout début du premier mouvement. Le Quatuor Belcea en livre une interprétation puissamment engagée. Au détour de certaines phrases, on devine les influences lointaines du folklore hongrois; le magnifique Finale dégage une atmosphère de désolation.
Le Quintette avec piano en ré mineur No 1 de Fauré est une oeuvre tardive, composée partiellement à Lausanne. Si le début du premier mouvement sur un tapis d’arpèges est très beau, les longues phrases musicales qui se déroulent sans interruption induisent une sorte de langueur morne par moments. Mais l’interprétation est de premier plan, avec un piano tout en délicatesse et des cordes bien soudées. Le deuxième mouvement du Quintette en fa mineur de Brahms, joué en bis, a respiré une émotion plus immédiate.
Cordes âpres et rugueuses
Le lendemain, la violoniste Patricia Kopatchinskaja, la pianiste Polina Leschenko, la violoncelliste Sol Gabetta et l’altiste Nathan Braude se partageaient la scène à l’église de Saanen. Jouant pieds nus, Patricia Kopatchinskaja exacerbe tout d’abord la nature hongroise
Soudain, il y a eu un «toc» dans le troisième mouvement du «Quatuor No 3» op. 18 de Beethoven
du Tzigane de Ravel, cordes âpres et rugueuses. Elle surjoue certains effets, se trouvant plus à l’aise dans la Rhapsodie pour violon et piano No 2 de Bartók. Le Trio de Ravel bénéficie de la sonorité très chaleureuse de Sol Gabetta au violoncelle. Patricia Kopatchinskaja y développe de belles nuances piano, tandis que Polina Leschenko s’affirme comme une pianiste imaginative.
Le Quatuor avec piano No 1 de Fauré – une oeuvre de jeunesse – avait fière allure lui aussi. De nouveau, la ferveur des interprètes a conquis le public, entre élans fiévreux et un Adagio à l’émotion recueillie. Un joli bis de Poulenc (L’Invitation au château) a permis aux quatre interprètes de conclure sur une note pleine d’esprit.
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