«L’inachevé rend la ville attirante»
L’urbaniste berlinois Johannes Novy, chercheur à la School of Architecture and Cities à l’Université de Westminster à Londres, a étudié les mouvements de contestation qui ont émergé dans plusieurs villes en lien avec la montée du tourisme de masse
Une génération s’est écoulée depuis la chute du Mur. Quel héritage la frontière
a-t-elle laissé à Berlin? Le Mur est le symbole de la division de la ville et cette division, à bien des égards, caractérise encore aujourd’hui son identité. Un exemple: Berlin doit son statut de «capitale du cool», comme écrivait le
Time Magazine au début des années 2000, à la prolifération de cultures alternatives dans les espaces laissés libres par la chute du Mur. Cette situation tout à fait exceptionnelle, pour une ville de cette taille au XXe siècle, est aussi source de contradictions. La destruction, l’inachevé: ce que les autorités et les urbanistes perçoivent comme un problème, c’est justement ce qui rend la ville particulière et attirante. Tout comme les restes du Mur. La subculture qui s’est développée sur ses ruines, se retrouve menacée par son propre pouvoir d’attraction. On dit que le touriste détruit ce qu’il cherche en le trouvant: dans ce bon mot, il y a une part de vérité.
Berlin est-elle encore «pauvre mais sexy», comme disait son ancien maire,
Klaus Wowereit, en 2003? En se développant, Berlin se distingue de moins en moins de Londres ou Paris. On peut dire qu’elle se «normalise». Le boom immobilier sans précédent des vingt dernières années menace ce qui la rend particulière. D’un autre côté, beaucoup de choses ont changé pour le mieux, notamment parce que la ville est devenue beaucoup plus cosmopolite et internationale depuis la chute du Mur. On a tendance à annoncer le déclin des espaces culturels, à cause de la gentrification en cours. Mais ce n’est pas inéluctable: la ville a les moyens d’accompagner ce développement pour en limiter les effets néfastes. C’est une question d’équilibre entre Berlin comme lieu de vie et Berlin comme terrain de jeu pour les visiteurs. Et à long terme, de possibilité d’être une destination durable. D’un point de vue économique, la «proposition de vente unique» de Berlin, en tant que destination touristique, c’est son histoire particulière. Ce «capital» doit être traité avec prudence.
De quelle façon? Berlin a manqué une occasion dans les années suivant la chute du Mur: la ville vendait ses terrains au plus offrant. Sous la pression de la société civile, le pouvoir public a opéré un tournant en accordant davantage d’attention à la qualité des projets immobiliers. Le Sénat a aussi pris des mesures qui, bien qu’elles aient une efficacité limitée, étaient impensables il y a quelques années. Ce n’est pas propre à Berlin. De Barcelone à Paris, les gouvernements locaux ont tendance à s’investir de manière plus déterminée dans les questions d’urbanisme. Mais à la fin, ce sont surtout les citoyens qui sont à même de façonner la ville, en faisant preuve de créativité.