Le Temps

La grande peur sur les taux

- SERVAN PECA @servanpeca

MARCHÉS L’évolution des rendements des bons du Trésor américain envoie les signaux que tout le monde craignait: une possible récession à venir. On appelle ça l’inversion de la courbe des taux. Explicatio­ns

Le terme est barbare et il qualifie un phénomène qui serait plutôt de l’ordre du cannibalis­me: l’inversion de la courbe des taux. Quand les investisse­urs craignent une récession, ce phénomène se produit. Et, lorsqu’il se produit, les investisse­urs craignent (encore plus) une récession.

DE QUOI S’AGIT-IL?

Mercredi vers midi, le taux d’intérêt (en réalité le rendement) sur les bons du Trésor américain (T-Bonds) à 10 ans est passé temporaire­ment sous celui des T-Bonds à 2 ans. C’est une première depuis 2007. Et c’est une anomalie puisque, théoriquem­ent, un emprunt à long terme devrait être mieux rémunéré par l’émetteur qu’un emprunt à court terme, compte tenu d’un risque pour le prêteur qui dure plus longtemps.

COMMENT EST-CE ARRIVÉ?

Si le rendement des T-Bonds à 10 ans a baissé pour finir par passer sous celui des 2 ans, c’est parce que le prix de ce titre obligatair­e a augmenté. Il s’est renchéri parce que la demande des investisse­urs est forte. Ceux-ci, craignant une baisse de la croissance et une inflation faible – donc des taux encore plus bas –, achètent des titres leur assurant un revenu fixe un tant soit peu élevé, le plus longtemps possible. En résumé, ils recherchen­t une certaine sécurité.

QUELS SIGNES FAUT-IL Y DÉCELER?

Les marchés financiers n’aiment pas ce mouvement. Il est généraleme­nt l’indicateur avancé d’une récession. Laquelle est censée intervenir dans les dix-huit mois qui suivent l’événement. «Il a précédé chacune des neuf récessions survenues depuis le milieu des années 1950, signalent les analystes d’ING, cité par Capital.fr. Il est donc compréhens­ible que les économiste­s deviennent quelque peu nerveux.» «Il confirme une phase de ralentisse­ment et augmente la probabilit­é de récession, mais pas systématiq­uement à très court terme», pondère Cyriaque Dailland, gérant de Sanso IS à Paris, cité par l’AFP.

Mercredi, un autre phénomène est venu alimenter les craintes: les taux de bons du Trésor à 30 ans sont passés sous le seuil de 2%. Ici, c’est une première historique. Et là aussi, cela signifie que les investisse­urs misent de plus en plus sur les échéances à long terme, donc sur le fait que la croissance va rester faible, tout comme l’inflation, ces prochaines années.

QUELS SONT LES MOTIFS D’ESPOIR?

La littératur­e économique montre qu’une récession peut intervenir lorsque les agents économique­s (ménages, entreprise­s) ont peu de réserves pour affronter un passage à vide et décident d’épargner – et donc de limiter leurs dépenses parce qu’ils pensent qu’une récession est imminente. Cela devient alors une prophétie auto-réalisatri­ce, expose Cédric Tille, professeur d’économie à l’IHEID à Genève. D’autres recherches, ajoute-t-il, ont démontré que la matérialis­ation d’une récession dépend de la marge de manoeuvre disponible pour les politiques économique­s. Autrement dit, des outils dont disposent les banques centrales et/ou les Etats pour relancer la machine. «Les banques centrales n’ont pas encore vidé leurs caisses de munitions, mais on commence à en voir le fond», illustre le professeur. La Réserve fédérale américaine, qui réfléchit par ailleurs à de nouveaux outils, vient de baisser ses taux pour la première fois depuis 2008. A Francfort, la Banque centrale européenne pourrait bien faire de même, en septembre.

Côté budgétaire, bon nombre de gouverneme­nts n’ont pas la latitude pour financer des plans de relance. Mais il y en a un, et pas des moindres, qui l’aurait: l’Allemagne. D’ailleurs, après les mauvais chiffres du PIB, publiés mercredi, le débat a été relancé sur la volonté – zélée, selon certains en Allemagne et en zone euro – de Berlin de continuer sur la voie de l’austérité budgétaire.

ET MAINTENANT?

Jeudi était jour de digestion. Sur les marchés boursiers européens, la tendance était hésitante mais négative, bien que dans une moindre mesure que la veille. Wall Street a ouvert dans le vert, quelques indicateur­s américains et des signaux d’apaisement dans le conflit commercial sino-américains ont réduit la nervosité provoquée par le phénomène d’inversion de la courbe. Sur les marchés obligatair­es, l’écart entre les T-Bonds à 10 ans et ceux à 2 ans était de nouveau positif. De peu.

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