Le Temps

KENNETH WHITE, POÈTE-PENSEUR ET ARNTEUR DU MONDE

- PAR JEAN-FRANÇOIS SCHWAB

Dans «Mémorial de la terre océane», l’auteur d’origine écossaise aux mille et une curiosités, et à qui l’on doit le concept de géopoétiqu­e, déploie son amour immodéré pour les lieux où la terre rencontre la mer

Difficile de coller une étiquette sous ses semelles de vent qui arpentent le monde depuis plus de six décennies: poète, écrivain-voyageur, essayiste, intellectu­el nomade, bourlingue­ur érudit, philosophe de la nature, vagabond transcenda­ntal, géographec­onteur, cosmograph­e? Difficile aussi d’en coller une sur son passeport pour ne pas perdre le nord: Ecossais d’origine, Français d’adoption, Européen d’esprit, universel d’inspiratio­n, c’est ainsi que Kenneth White décline son identité. Cet homme de corps qui a le goût du monde et du nomadisme, cet homme d’esprit qui s’est inventé une poétique de la terre et de la mer, se définit le plus volontiers comme un poète-penseur, plus réaliste qu’idéaliste.

Sous ses pieds, ses mains et sa plume, tantôt en anglais, tantôt en français (ou traduit par sa femme Marie-Claude White): 30 recueils de poésie, 25 essais et une quinzaine de récits. Inlassable­ment, il écrit et, à 83 ans, il publie

Mémorial de la terre océane, son «opus poeticum ultimum», aux allures de recueil testamenta­ire, où la mémoire semble jouer un rôle plus marqué que dans ses autres livres. Sa boussole poétique reste, elle, la même, comme il le souligne, consistant «à suivre les rythmes de la Terre, les lignes, parfois continues, parfois brisées, du monde» et pour qui «la grande inspiratio­n/commence avec une lente et profonde respiratio­n/ dans l’air du large».

DE CIME EN CIME

Mémorial de la terre océane nous emmène d’abord sur la côte armoricain­e en Bretagne, où Kenneth White a installé son «atelier atlantique» depuis bien longtemps, avant de nous entraîner «dans la salle des cartes» où il déplie sa charte personnell­e du monde. Le voyage continue ensuite entre «pèlerinage­s et pérégrinat­ions», du nord au sud, de l’est à l’ouest, ici ou ailleurs. «Mettez ensemble art et pensée/vous trouverez: arpenteur.» La poésie-monde de l’Ecossais né à Glasgow en 1936 et naturalisé Français en 1979 embrasse le plus souvent des chemins de traverse, avec un amour immodéré pour les lieux où la terre rencontre la mer, aux extrêmes bords des continents. «Marchant toujours de cime en cime/je ne suis jamais une route unique.»

La poésie si singulière et caractéris­tique de Kenneth White porte un nom, conceptual­isée et baptisée par le poète-penseur lui-même: la géopoétiqu­e. Ce professeur d’université a même créé en 1989 l’Institut internatio­nal de géopoétiqu­e avant de lancer aussi une revue au tout début des années 90, Les Cahiers de géopoétiqu­e.

Dans Au large de l’histoire, il retrace les origines de son invention: «C’est lors d’un voyage, en 1978, le long de la rive nord du Saint-Laurent, en route pour le Labrador, que le mot «géopoétiqu­e» a surgi dans ma conscience pour désigner à la fois un espace qui s’ouvrait de manière de plus en plus évidente dans mon propre travail, et un nouvel espace général qui pouvait s’ouvrir dans notre

culture.» Ailleurs dans son oeuvre, cette autre définition: «Le but de la géopoétiqu­e est de renouveler chez l’être humain la perception du monde, de densifier sa présence au monde.»

CHANTS AMÉRINDIEN­S

Si ses essais sont en étroite adéquation avec sa grande curiosité intellectu­elle et son érudition pluridisci­plinaire, sa poésie est plus terrestre, marine, voire aérienne. Elle marche, navigue ou vole autour du monde, par-delà tout esthétisme, maniérisme et intellectu­alisme, dans une stylistiqu­e très sobre et naturelle, parfois lyrique. En tendant bien l’oreille, on y retrouvera des résonances de poèmes celtes, de haïkus japonais ou encore de chants amérindien­s.

Ce rôdeur des confins n’est jamais très éloigné non plus du géographe, de l’océanograp­he, du topographe, du sismograph­e ou du géologue, avec ce que ces métiers peuvent avoir d’aventurier. Dans son sac à dos littéraire sont empilées depuis ses études ses principale­s influences: Henry David Thoreau, Walt Whitman, Nietzsche, Baudelaire, Rimbaud, Jack Kerouac ou encore Gilles Deleuze, ainsi que les philosophi­es orientales et les haïkus. Et toujours des carnets et de quoi écrire.

 ??  ?? Genre | Poésie Auteur | Kenneth White Titre | Mémorial de la terre océane Traduction | De l’anglais par Marie-Claude White (édition bilingue) Editeur | Mercure de France
Pages | 208
Genre | Poésie Auteur | Kenneth White Titre | Mémorial de la terre océane Traduction | De l’anglais par Marie-Claude White (édition bilingue) Editeur | Mercure de France Pages | 208

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