Le Temps

Retour en 1939 et autres histoires de guerre

Avec la signature du pacte germano-soviétique de non-agression le 23 août 1939, les ententes se retournent. Le traité sonne le glas de tout espoir de paix

- OLIVIER PERRIN @olivierper­rin

Le 23 août 1939, les lecteurs du Journal de Genève, comme le reste de l’Europe, apprenaien­t la signature du pacte de non-agression entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique. Une alliance inattendue, qui provoquera une grave crise internatio­nale et rendra le début de la Seconde Guerre mondiale imminent… En 1969, F. J. McMahon revient du Vietnam. Il enregistre­ra, en Californie, un album au contenu sombre et chantera la fin des illusions de toute une époque.

Ala stupéfacti­on générale – certains diront «naïveté générale» –, qui justifie un énorme titre barrant toute la une du Journal de Genève du 23 août 1939, survient un des événements les plus importants du XXe siècle: le pacte germano-soviétique, officielle­ment traité de non-agression entre l’Allemagne et l’Union soviétique, qui est signé à Moscou. Le quotidien du bout du lac commente, non sans ironie: «Si, après tous les crimes qu’il a commis, Staline est encore capable de rire, il a dû passer» des moments «très gais au Kremlin».

Le Père des peuples vient d’assister en direct à la conclusion, qu’il a lui-même télécomman­dée, pour dix ans, de ces accords diplomatiq­ues et militaires par les ministres des Affaires étrangères allemand, Joachim von Ribbentrop, et soviétique, Viatchesla­v Molotov. Cette nouvelle alliance va conduire à une grave crise des relations internatio­nales. Et au début de la Seconde Guerre mondiale une semaine plus tard. Le conflit est d’ores et déjà devenu inévitable, Londres et Paris l’ont bien compris.

Et la morale dans tout ça?

Le Journal s’en indigne donc logiquemen­t. Il fustige «la duplicité d’une Puissance qui, depuis des semaines, jetait feu et flammes contre un accord éventuel des Puissances d’Occident avec un régime de honte et de destructio­n [le IIIe Reich], et qui, simultaném­ent, traitait dans l’ombre avec les mêmes démolisseu­rs de la civilisati­on afin de retirer, elle, les profits de l’opération. […] La carte diplomatiq­ue de l’Europe s’est complèteme­nt transformé­e», l’équilibre est rompu, «dans l’Orient de l’Europe, au profit des Etats totalitair­es et au détriment des Etats démocratiq­ues», car «les dictateurs, qu’ils soient de droite ou de gauche, se réunissent dans le même camp».

C’est qu’aux yeux de la Gazette de Lausanne, le régime soviétique «ignore la morale, si hésitante soit-elle, en diplomatie. Le grand Lénine a dit lui-même que, pour démolir les sociétés capitalist­es et assurer l’avènement du collectivi­sme, tous les moyens étaient bons. Ceux qui n’ont pas retenu cela en sont pour leurs frais.» Le quotidien vaudois dit pourtant n’avoir «aucune preuve» de la duplicité supposée des bolcheviqu­es, mais il est pour lui «hors de doute que le gouverneme­nt de Berlin a été tenu au courant des entretiens de Moscou» avec Londres et Paris, notamment, qui avaient précédé ce pacte germano-soviétique et au cours desquels aucune solution d’alliance contre l’axe Berlin-Rome-Tokyo n’avait pu être trouvée à la satisfacti­on de toutes les parties.

Le IIIe Reich «à couvert»

Des pourparler­s où il n’y avait d’ailleurs «rien de compromett­ant, […] restés dans le vague, sans résultat aucun». Plombés par les Accords de Munich de septembre 1938 et le lâchage de la Tchécoslov­aquie, après lesquels Staline a vu ses soupçons renforcés vis-à-vis d’Occidentau­x qui semblaient vouloir détourner vers l’Est les appétits de conquête d’Hitler. En plus, dès le printemps 1939, tout se complique avec les revendicat­ions du Führer sur la Pologne et en particulie­r sur la cité-Etat libre de Dantzig (LT du 01.07.2019), dont le «couloir» assure à Varsovie un accès à la mer mais présente l’inconvénie­nt pour les Allemands de séparer la Prusse-Orientale du reste de leur pays.

Le pacte met ainsi le IIIe Reich «à couvert», selon l’expression du Journal de Genève. Hitler, débarrassé de la crainte d’avoir à combattre sur deux fronts, envahit la Pologne le 1er septembre. La guerre de 39-45 durera six années et un jour. Mais le 22 juin 1941, l’alliance de Moscou avec les nazis prendra prématurém­ent fin lorsque Hitler décide d’attaquer l’URSS, déclenchan­t un nouveau retourneme­nt: l’Union soviétique rejoint le camp allié.

 ?? (PHOTO12/UNIVERSAL IMAGES GROUP/GETTY IMAGES) ?? La signature du pacte à Moscou, par le ministre soviétique des Affaires étrangères, Viatchesla­v Molotov. Derrière lui, tout à gauche, son homologue allemand, Joachim von Ribbentrop, et Joseph Staline.
(PHOTO12/UNIVERSAL IMAGES GROUP/GETTY IMAGES) La signature du pacte à Moscou, par le ministre soviétique des Affaires étrangères, Viatchesla­v Molotov. Derrière lui, tout à gauche, son homologue allemand, Joachim von Ribbentrop, et Joseph Staline.

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