Procession solennelle pour un glacier disparu
L’Islande a honoré hier le souvenir de son premier glacier officiellement disparu, l’Okjökull. Une manifestation vibrante, en pleine nature, à laquelle ont participé de nombreuses personnalités locales et internationales
Le mois d’août a été particulièrement pourri en Islande, surtout dans le nord de l’île: des vents violents, des pluies diluviennes, des températures glaciales, et même des neiges inattendues qui sont venues garnir les routes des Highlands, les terres de l’intérieur. «Des vacances gâchées» pour de nombreux touristes. Une ambiance idéale pour les climato-sceptiques qui doutent du réchauffement.
Katrin Jakobsdottir, la première ministre islandaise, avait décidé de prendre la parole sur le sujet. Sans protocole particulier – avec chaussures de marche et pantalon de randonnée étanche –, elle s’est rendue hier aux abords d’un ancien glacier, l’Okjökull. Le site ne se trouve qu’à 1 heure 30 de Reykjavik mais il appartient déjà à un autre univers aux noms aussi magiques qu’imprononçables, tels les champs de lave de Hallmundarhraun ou la piste minérale de Kaldidalur.
Plus qu’un km carré au fond d’un grand cratère
C’est ici que le premier glacier islandais a été officiellement déclaré disparu, en 2014, par le géologue Oddur Sigurdsson. L’Okjökull, que tout le monde appelait Ok, s’étalait sur 15 kilomètres carrés et 50 mètres d’épaisseur voilà un siècle. Aujourd’hui, il n’en reste qu’un cercle d’un km carré au fond d’un grand cratère.
«Il y a trop de vent, je n’arriverai jamais à lire mon discours…» lance Katrin Jakobsdottir dans le froid polaire. Traits taillés à la serpe, regard bleu métal, elle renonce au texte préparé pour mieux improviser sur le changement climatique et les injustices qu’il provoque. Pour dire, aussi, qu’il faut agir comme les équipes de secours qui viennent en aide aux touristes sinistrés dans les montagnes: «Nous devons les soigner elles aussi. Même si la fonte des glaces n’est qu’un aspect du changement. Il y a aussi les inondations, les tempêtes, et toutes ces catastrophes.» Puis elle termine en lisant un poème d’une lycéenne de 17 ans, Gunnhildur Frida Hallgrimsdottir.
L’adolescente n’est pas connue mais pourrait bientôt le devenir, en porte-parole de sa génération. D’une beauté sidérante et d’un calme communicatif, Gunnhildur explique ses textes: «C’est tout simple, je parle d’un glacier disparu et d’un monde où la course à l’argent est une course à notre perte. Je l’ai pourtant écrit à la va-vite, tout comme le précédent qui a été lu pendant une session du parlement.» D’autres jeunes Islandais traînent à ses côtés avec leurs banderoles, un peu perdus au milieu de quelques figures internationales: l’ancienne présidente d’Irlande Mary Robinson et le secrétaire général d’Amnesty International, Kumi Naidoo, avaient tenu à faire le déplacement aux côtés de 150 anonymes.
Tout ce beau monde couvert de bonnets et de parkas s’est alors mis en marche vers l’ancien glacier. Il n’y a pas de chemin, juste de la terre et des cailloux pour parvenir sur les lieux. L’ambiance est bon enfant, avec des scènes de famille classiques, comme cette plainte d’une petite fille de 10 ans à son père: «On arrive bientôt?»
A l’origine de cette promenade, deux professeurs d’anthropologie de l’université de Rice, au Texas: Cymene Howe et Dominic Boyer, qui ont réalisé un film court sur le sujet, titré Not Ok. Leur mobilisation changera-t-elle les mentalités sur place? Les Islandais n’ont pas toujours les réflexes écologistes qui se sont imposés dans d’autres pays. En voiture, ils gardent par exemple l’habitude de laisser tourner longuement leurs moteurs quand ils croisent un ami au bord de la route. Parfois quarante-cinq minutes, sans raison évidente.
«Ceci est un message pour le futur»
L’Islande connaît pourtant des bouleversements spectaculaires. Elle perdrait ainsi 11 milliards de tonnes de glace chaque année. Elle compte aujourd’hui 400 glaciers qui, si rien ne change, auront tous disparu d’ici à 2100. Dans ce contexte, la marche vers «Ok» tient de l’opération de marketing, de la tentative de sensibilisation.
Dernier geste cérémonial du jour: l’installation d’une plaque dorée à flanc de rocher. Des mots simples rédigés par Andri Snaer Magnason, une figure de la littérature islandaise engagée de longue date pour la conservation de l’environnement. «Ceci est un message pour le futur. Ok est le premier glacier islandais à avoir perdu son statut. Tous les autres glaciers du pays devraient connaître le même destin au cours des deux prochains siècles. Ce monument est là pour dire: nous savons ce qui est en train de se passer, et nous savons ce que nous avons à faire. Vous seuls saurez si on l’a fait. Août 2019.»
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«C’est tout simple, je parle d’un glacier disparu et d’un monde où la course à l’argent est une course à notre perte» GUNNHILDUR FRIDA HALLGRIMSDOTTIR, POÉTESSE EN HERBE