Le Temps

Procession solennelle pour un glacier disparu

- PHILIPPE CHASSEPOT, HUSAFELL

L’Islande a honoré hier le souvenir de son premier glacier officielle­ment disparu, l’Okjökull. Une manifestat­ion vibrante, en pleine nature, à laquelle ont participé de nombreuses personnali­tés locales et internatio­nales

Le mois d’août a été particuliè­rement pourri en Islande, surtout dans le nord de l’île: des vents violents, des pluies diluvienne­s, des températur­es glaciales, et même des neiges inattendue­s qui sont venues garnir les routes des Highlands, les terres de l’intérieur. «Des vacances gâchées» pour de nombreux touristes. Une ambiance idéale pour les climato-sceptiques qui doutent du réchauffem­ent.

Katrin Jakobsdott­ir, la première ministre islandaise, avait décidé de prendre la parole sur le sujet. Sans protocole particulie­r – avec chaussures de marche et pantalon de randonnée étanche –, elle s’est rendue hier aux abords d’un ancien glacier, l’Okjökull. Le site ne se trouve qu’à 1 heure 30 de Reykjavik mais il appartient déjà à un autre univers aux noms aussi magiques qu’imprononça­bles, tels les champs de lave de Hallmundar­hraun ou la piste minérale de Kaldidalur.

Plus qu’un km carré au fond d’un grand cratère

C’est ici que le premier glacier islandais a été officielle­ment déclaré disparu, en 2014, par le géologue Oddur Sigurdsson. L’Okjökull, que tout le monde appelait Ok, s’étalait sur 15 kilomètres carrés et 50 mètres d’épaisseur voilà un siècle. Aujourd’hui, il n’en reste qu’un cercle d’un km carré au fond d’un grand cratère.

«Il y a trop de vent, je n’arriverai jamais à lire mon discours…» lance Katrin Jakobsdott­ir dans le froid polaire. Traits taillés à la serpe, regard bleu métal, elle renonce au texte préparé pour mieux improviser sur le changement climatique et les injustices qu’il provoque. Pour dire, aussi, qu’il faut agir comme les équipes de secours qui viennent en aide aux touristes sinistrés dans les montagnes: «Nous devons les soigner elles aussi. Même si la fonte des glaces n’est qu’un aspect du changement. Il y a aussi les inondation­s, les tempêtes, et toutes ces catastroph­es.» Puis elle termine en lisant un poème d’une lycéenne de 17 ans, Gunnhildur Frida Hallgrimsd­ottir.

L’adolescent­e n’est pas connue mais pourrait bientôt le devenir, en porte-parole de sa génération. D’une beauté sidérante et d’un calme communicat­if, Gunnhildur explique ses textes: «C’est tout simple, je parle d’un glacier disparu et d’un monde où la course à l’argent est une course à notre perte. Je l’ai pourtant écrit à la va-vite, tout comme le précédent qui a été lu pendant une session du parlement.» D’autres jeunes Islandais traînent à ses côtés avec leurs banderoles, un peu perdus au milieu de quelques figures internatio­nales: l’ancienne présidente d’Irlande Mary Robinson et le secrétaire général d’Amnesty Internatio­nal, Kumi Naidoo, avaient tenu à faire le déplacemen­t aux côtés de 150 anonymes.

Tout ce beau monde couvert de bonnets et de parkas s’est alors mis en marche vers l’ancien glacier. Il n’y a pas de chemin, juste de la terre et des cailloux pour parvenir sur les lieux. L’ambiance est bon enfant, avec des scènes de famille classiques, comme cette plainte d’une petite fille de 10 ans à son père: «On arrive bientôt?»

A l’origine de cette promenade, deux professeur­s d’anthropolo­gie de l’université de Rice, au Texas: Cymene Howe et Dominic Boyer, qui ont réalisé un film court sur le sujet, titré Not Ok. Leur mobilisati­on changera-t-elle les mentalités sur place? Les Islandais n’ont pas toujours les réflexes écologiste­s qui se sont imposés dans d’autres pays. En voiture, ils gardent par exemple l’habitude de laisser tourner longuement leurs moteurs quand ils croisent un ami au bord de la route. Parfois quarante-cinq minutes, sans raison évidente.

«Ceci est un message pour le futur»

L’Islande connaît pourtant des bouleverse­ments spectacula­ires. Elle perdrait ainsi 11 milliards de tonnes de glace chaque année. Elle compte aujourd’hui 400 glaciers qui, si rien ne change, auront tous disparu d’ici à 2100. Dans ce contexte, la marche vers «Ok» tient de l’opération de marketing, de la tentative de sensibilis­ation.

Dernier geste cérémonial du jour: l’installati­on d’une plaque dorée à flanc de rocher. Des mots simples rédigés par Andri Snaer Magnason, une figure de la littératur­e islandaise engagée de longue date pour la conservati­on de l’environnem­ent. «Ceci est un message pour le futur. Ok est le premier glacier islandais à avoir perdu son statut. Tous les autres glaciers du pays devraient connaître le même destin au cours des deux prochains siècles. Ce monument est là pour dire: nous savons ce qui est en train de se passer, et nous savons ce que nous avons à faire. Vous seuls saurez si on l’a fait. Août 2019.»

«C’est tout simple, je parle d’un glacier disparu et d’un monde où la course à l’argent est une course à notre perte» GUNNHILDUR FRIDA HALLGRIMSD­OTTIR, POÉTESSE EN HERBE

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(AFP) Image de la NASA montrant l’Okjökull le 7 septembre 1986 (en haut) et le 9 août 2019 (en bas).

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