Le pétrole de schiste américain suscite des interrogations
La fracturation hydraulique nécessite des dépenses importantes, mais la rentabilité tarde à venir. Les investisseurs s’impatientent
C’est l’un des mouvements les plus spectaculaires de la turbulente histoire du pétrole et l’un des atouts majeurs de Donald Trump sur le plan géopolitique: l’essor du pétrole de schiste aux EtatsUnis au cours des dernières années a fait passer les Américains au rang de premiers producteurs mondiaux d’or noir, devant les Russes et les Saoudiens. En 2018, le pays a franchi la barre des 12 millions de barils par jour. Cette croissance exponentielle est essentiellement due à l’extraction de pétrole de schiste, obtenu par une technique de fracturation de la roche (la fracturation hydraulique) différente de celle utilisée pour le pétrole conventionnel.
Le coeur de cette révolution énergétique se situe dans l’ouest du Texas, au niveau du Bassin permien, une zone qui produit désormais plus de 4,2 millions de barils de pétrole chaque jour, soit presque autant que l’Irak. En deux ans, la production y a crû de 72%. «C’est comme si on avait ajouté un nouveau pays pétrolier sur la carte du monde!» s’enthousiasmait récemment un patron français du secteur.
Selon les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le pétrole de schiste va continuer à croître de manière significative ces deux prochaines années. Les prospectivistes de l’AIE envisagent même que la production américaine totale dépasse 17 millions de barils par jour en 2025. Un niveau jamais atteint.
Viabilité du modèle en question
Cependant, depuis plusieurs semaines, des interrogations se font jour sur la viabilité de ce modèle. Certaines contraintes sont ponctuelles, notamment sur les infrastructures: la production est tellement importante que les oléoducs ne sont pas suffisamment nombreux, ce qui limite les capacités d’exportation et ralentit l’investissement.
Surtout, la nature même du modèle du pétrole de schiste commence à susciter quelques doutes chez les investisseurs. «Dans le pétrole conventionnel, on creuse un puits et on l’exploite avec un bon rendement pendant des années. Mais, dans le pétrole de schiste, on a une courbe descendante très rapide: on produit beaucoup les premiers mois, puis la production descend très vite», explique un pétrolier français installé au Texas. Autrement dit: pour maintenir la production, ou l’augmenter, il faut investir encore et toujours pour forer de nouveaux puits, ce qui est particulièrement onéreux. Sans parler de l’impact environnemental du procédé, qui nécessite beaucoup d’eau et peut provoquer des séismes.
Il y a quelques années, les investisseurs de Wall Street n’y voyaient pas trop d’inconvénients, espérant récupérer leur mise ultérieurement. Désormais, ils commencent à s’impatienter. Les producteurs du Bassin permien sont contraints de réinvestir leurs gains dans de nouveaux forages, et ne sont toujours pas bénéficiaires, en dépit des prix du pétrole relativement soutenus.
«Des difficultés temporaires»
Dans son ouvrage Saudi America: The Truth About Fracking and How It’s Changing the World (Columbia Global Reports, septembre 2018, non traduit), la journaliste Bethany McLean compare l’émergence du pétrole de schiste à la bulle numérique des années 2000 ou à la crise des crédits subprimes de 2008. «Le boom énergétique américain repose sur des bases fragiles, puisqu’il est alimenté par des dettes importantes et un accès facile au crédit», souligne-telle.
«Il peut y avoir des difficultés temporaires, mais il est certain que la production américaine n’est pas à son plafond et va continuer à augmenter», modère Francis Perrin, directeur de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste des questions pétrolières. Plusieurs acteurs du Bassin permien ont annoncé ces dernières semaines qu’ils prévoyaient une production en hausse pour l’an prochain, mais avec une croissance moins fulgurante.
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