Le Temps

Le cumul des jobs révèle une précarisat­ion de l’emploi

- RACHEL RICHTERICH @RRichteric­h

En Suisse, le nombre de personnes cumulant plusieurs emplois est en hausse continue depuis dix ans. Une tendance qui souligne une fois de plus les faiblesses d’un marché du travail faussement présenté comme idyllique par les statistiqu­es officielle­s du chômage

Au pays du plein-emploi, les Suisses sont toujours plus nombreux à cumuler les jobs. Au total, ceux que l’on appelle les multi-actifs sont près de 400000, soit 8,7% de la population active, contre une part de 4% en 1991, écrit la presse dominicale, qui s’est procuré les derniers chiffres de l’Office fédéral de la statistiqu­e (OFS). C’est deux fois plus que la moyenne européenne. Pour certains, c’est une option, celle d’exercer deux métiers différents pour contrer la lassitude. Mais pour beaucoup, c’est une nécessité, afin de joindre les deux bouts, comme dans le cas de cette mère de 35 ans, femme de chambre le jour et serveuse dans un fast-food le soir, que décrit le SonntagsBl­ick.

L’OFS ne détaille pas les critères conduisant un nombre croissant de travailleu­rs à cumuler les activités, mais un point sonne l’alerte: un quart de ces multi-actifs travaille déjà à plein temps, selon le dernier rapport sur la multi-activité (chiffres de 2017). On imagine mal ces travailleu­rs embrayer pour le plaisir ou pour assouvir une curiosité débordante sur un deuxième bloc horaire, après une journée de 8 heures de travail.

La tendance au multi-emploi semble lever le voile sur une précarisat­ion du marché du travail toujours plus marquée en Suisse. A ce phénomène s’ajoute la croissance du travail à temps partiel, qui concerne plus d’un tiers des actifs. Des données à lire en regard des statistiqu­es sur le potentiel de forces de travail, qui montrent que 830 000 personnes seraient prêtes à travailler davantage; parmi elles, 231000 chômeurs et 356000 personnes en sous-emploi, ainsi que 240000 actifs qui constituen­t la «réserve inexprimée de travail», autrement dit toutes les personnes à la recherche d’un emploi mais pas disponible­s dans les deux semaines, car liées à un préavis envers un employeur, par exemple. Ou toutes celles qui ne cherchent pas, mais seraient «techniquem­ent» libres. Ce, sur fond de hausse de la pauvreté, frappant plus de 8% de la population, contre 6,5% il y a cinq ans.

Les femmes davantage touchées

A noter que ces situations touchent davantage les femmes que les hommes, qui assument encore l’essentiel des tâches liées à la garde des enfants et réduisent ou cessent leur activité profession­nelle, montrant au passage l’urgence de mettre en place des dispositif­s permettant de mieux concilier travail et vie privée.

Autant de données qui contrebala­ncent une fois de plus la situation idyllique décrite par les statistiqu­es officielle­s du chômage, publiées chaque mois par le Secrétaria­t d’Etat à l’économie. Cette illusion de plein-emploi contribue à masquer une réalité plus dure et la nécessité de prendre des mesures pour y remédier.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland