Mark Schneider, la rigueur du flexitarien
Nestlé,
Chez le Germano-Américain reste en retrait des mondanités, pour «garder l’esprit clair» et mieux trancher dans le gras
Il n’a pas exprimé d’intérêt pour ce portrait. Ses séances de photos sont un supplice. Et le questionnaire de Proust auquel Le Temps avait tenté de le soumettre l’année dernière s’est révélé totalement dépourvu de spontanéité. Mark Schneider (bientôt 54 ans) n’est pas du genre à se livrer. Encore moins à improviser.
Le directeur opérationnel de Nestlé (308 000 employés) n’est pas de ceux dont on dit qu’ils sont nés pour commander. Chez lui, le charisme ne semble pas inné. «C’est un directeur qui n’a pas peur de se taire», nuance un cadre de Nestlé. Comme lors de ce déjeuner de printemps 2018 où il avait convié la presse à l’Alimentarium de Vevey pour y défendre la pizza allégée et les nouveaux burgers aux lentilles, tout en établissant un premier contact.
Dans sa première interview pour un média romand, il s’était décrit dans Le Temps comme «déterminé, constant et doté d’un certain sens de l’humour». Les journalistes et analystes auront rarement eu l’occasion de vérifier cette dernière assertion. Mais une ancienne voisine de La Tourde-Peilz, où il a acquis une villa les pieds dans l’eau, lui concède volontiers un «humour très British, fin, un peu pince-sans-rire».
Son style? «Il a pris soin de n’établir des liens avec personne à l’interne, soutient un cadre de Nestlé qui n’a pas souhaité être nommé. Il se tient à l’écart des courtisans pour garder l’esprit clair.»
C’est évident: Mark Schneider est un méthodique. Il observe, apprend, tranche, puis va de l’avant. D’abord au sein de Fresenius, le groupe allemand spécialisé dans les soins médicaux. En treize ans (2003-2016), il a multiplié ses ventes par quatre et ses profits par douze. Puis à la tête de Nestlé, où il s’est accordé quatre mois de stage d’observation avant de prendre ses fonctions le 1er janvier 2017. Le calme avant la tempête.
La suite est connue: Nestlé se sépare de divisions qui pèsent des milliards et licencie. Y compris en Suisse, où tombe un tabou. Jusqu’ici, le berceau du groupe fondé en 1866 avait toujours échappé aux restructurations. Mais Mark Schneider manie aussi le chéquier pour réaliser des acquisitions stratégiques. Le tout avec une constance qui déconcerte. En deux ans et demi, Nestlé a remanié 10% de son portefeuille: 9 milliards de francs de ventes, 10 milliards d’acquisitions.
La constance du jardinier
Il faut dire que le directeur de Nestlé sait où il va. «C’est exactement le mandat qui m’a été attribué [par le conseil administration]», ne se lasset-il pas de répéter. Concrètement, le groupe se concentre sur son coeur d’activité: nourriture et boissons, avec un fort accent sur les produits bios et véganes. Un mode de vie que le directeur a lui-même adopté. S’il admet manger de la viande une à deux fois par semaine (lors de ses déplacements), Mark Schneider ne se déride que pour parler de smoothies aux légumes. Quand on est directeur de Nestlé, peut-on se laisser influencer par son régime alimentaire? «C’est une bonne question», lâche un porte-parole. On s’en contentera, en se remémorant avec quelle légèreté il a condamné la marque allemande de charcuterie Herta lors de la présentation des résultats annuels en février.
A la tête d’une multinationale présente dans 190 pays, Mark Schneider voyage quelque 100 jours par an. Le reste du temps, il le passe en Suisse, où il a fait ses études de finance et d’administration (à l’Université de Saint-Gall) et dont il vante encore les qualités de rigueur et de ponctualité. Sa patrie de coeur reste cependant les Etats-Unis, un pays dont il a acquis la nationalité en 2003, après un MBA à Harvard. «C’est un Allemand qui se prend pour un Américain, dit un cadre de Nestlé. Ne l’appelez surtout pas Ulf.» Il a en tout cas réussi à effacer son premier prénom de toutes les communications de Nestlé.
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