La gestion du personnel décortiquée par trois professeurs. Nos offres d’emploi
RESSOURCES HUMAINES Trois professeurs décortiquent dans un livre les pratiques de gestion du personnel. Notamment pour déconstruire des procédés que nombre d’entreprises empruntent à leurs concurrentes
Parmi les dizaines de livres de gestion qui paraissent chaque année, beaucoup encensent les politiques innovantes mises en place par les entreprises. Trois professeurs ont une démarche bien différente: Yves Emery, professeur à l'Institut de hautes études en administration publique de l'Université de Lausanne, François Gonin, professeur en management des ressources humaines à la Haute Ecole d'ingénierie et de gestion du canton de Vaud, et David Giauque, professeur de sociologie des organisations et de gestion des ressources humaines à l'Université de Lausanne.
Dans leur livre Gestion des ressources humaines. Pour le meilleur et pour le pire paru au printemps dernier, ils abordent toutes les pratiques en vogue: flexibilité, motivation du personnel, entretiens d'évaluation… Ces politiques sont analysées pour en montrer les avantages mais aussi les faces cachées. Des professeurs – et praticiens – sévères, mais justes.
De nombreux livres paraissent sur les ressources humaines (RH). A quel besoin répondait celui-ci? François Gonin:
Nous souhaitions témoigner de nos différentes expériences de terrain: nous sommes convaincus de l'utilité des RH et nous pouvons observer un grand nombre de très bonnes pratiques, novatrices, humanistes et orientées sur la longue durée. Mais nous assistons aussi à des comportements que nous ne pouvons pas soutenir.
David Giauque: Les livres sont plutôt orientés sur les processus de ressources humaines et les façons de les mettre en oeuvre. Nous avions envie de trier le bon grain de l'ivraie parce que entre les constats de la recherche scientifique et la réalité des organisations, il y a un fossé. Il existe aujourd'hui un paradoxe saisissant: les entreprises ne font que dire que la gestion des ressources humaines (GRH) est centrale, mais en même temps, le mal-être au travail s'étend.
Comment cela s’explique-t-il? D.G:
Bien souvent, le management est idéologique et met en place des outils qui se sont révélés inefficaces, voire néfastes. Avec le même aveuglement que Donald Trump qui nie le réchauffement climatique, des praticiens de GRH estiment que la méritocratie ou l'évaluation individuelle telles qu'elles sont pratiquées aujourd'hui sont des solutions. Nous avions donc envie de faire une évaluation de ce qui se passe dans le privé et le public.
A quelles pratiques néfastes pensez-vous?
D.G:
Nous pouvons mentionner la gestion des ressources humaines de la performance, les pressions gigantesques, les pratiques de recrutement qui n'ont plus rien d'humain, les licenciements abrupts.
F.G: Un autre exemple frappant est celui de la délocalisation des ressources humaines. Un certain nombre de grandes entreprises suisses ont délocalisé des services à l'étranger, y compris pour les problèmes humains. Ce qui fait que si vous avez une difficulté avec votre collaborateur, vous tapez 2 sur votre téléphone et vous avez quelqu'un en Europe de l'Est qui vous répond. Il suffit qu'une grosse banque ou une grosse compagnie d'assurances ait calculé que le coût du personnel en Europe de l'Est serait moindre, y compris pour les ressources humaines, et les autres sociétés suivent. Qu'une entreprise se laisse guider par ces ratios financiers à la limite on comprend, mais que les autres suivent, c'est incroyable. Comment peut-on croire qu'il est pertinent de mettre ce soutien humain à distance? Ces entreprises en reviendront. Votre livre est donc une critique des multinationales?
F.G:
Certaines de ces entreprises frappent en effet par leur naïveté en pensant qu'en créant un spa ou un fitness, les employés ne peuvent être que motivés et engagés. Et elles ne se rendent pas compte que l'on joue sur une motivation qui est extérieure au travail lui-même. Nous sommes parfois surpris de voir ces sociétés donner la leçon à tout le monde et afficher des chartes de valeurs à l'entrée de leurs bâtiments, mais sans les vivre.
D.G: Nous critiquons une logique. Et cette logique est souvent déterminée par les organisations qui ont les moyens de mettre en place des processus nouveaux, que les petites entreprises ont tendance à copier ensuite.
Vous dénoncez justement le suivisme des entreprises, car les nouvelles politiques seraient souvent «un copier-coller des pratiques concurrentes, plutôt qu’une réflexion sur les besoins». Comment l’expliquez-vous? D.G:
La gestion des ressources humaines est probablement l'élément le plus incertain que vous puissiez trouver dans les organisations. Comment trouver la perle rare? Comment trouver les compétences qui nous manquent? Il existe beaucoup d'incertitudes dans les choix en matière de gestion et les cadres ont tendance à aller copier des recettes qui ont été développées ailleurs. Ils font appel à des consultants externes qui vont proposer des produits tout faits et les appliquer de manière identique sans prendre en compte la taille de l'entreprise, sa culture, ses clients, etc. Pour le recrutement par exemple, les entreprises utilisent souvent les mêmes questionnaires alors qu'elles exercent dans des secteurs différents, ce qui n'a aucun sens.
La flexibilité au travail, la suppression de la hiérarchie… Ces pratiques ne sont-elles donc pour vous rien de plus que des outils de communication?
F.G:
Méfions-nous des généralisations. Des bons cadres et des bonnes organisations, il y en a. Mais nous regrettons qu'elles ne soient pas plus nombreuses et que beaucoup mettent l'accent sur les valeurs de l'entreprise sans les appliquer, renforçant ainsi l'incohérence. Notre livre est un appel à remettre l'humain au centre de la gestion des ressources humaines et à se baser davantage sur la recherche.
D.G: La perception de ces pratiques est essentielle. Elles doivent être vues par les salariés comme un moyen de se développer, pas comme un moyen de contrôle. Auquel cas, même si elles sont innovantes, le résultat sera négatif.
«Bien souvent, le management est idéologique»
DAVID GIAUQUE, PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE