Le faux statu quo décidé par la Banque nationale suisse
POLITIQUE MONÉTAIRE Les taux négatifs restent à -0,75%, mais la Banque nationale va réduire les montants qu’elle prélève sur les comptes des banques commerciales. Une façon de pouvoir baisser ses taux plus facilement, en cas de besoin
C’est un statu quo qui n’en est pas vraiment un. Jeudi, la Banque nationale suisse (BNS) a annoncé qu’elle laissait inchangés, à -0,75%, son taux directeur et le taux d’intérêt négatif appliqué aux avoirs à vue.
Elle répète aussi qu’elle reste «disposée à intervenir au besoin sur le marché des changes» pour faire baisser le franc. La banque centrale n’aura donc pas suivi son homologue européenne qui, la semaine dernière, a baissé ses taux de -0,40 à -0,50% et annoncé un nouveau programme de rachats d’actifs.
En revanche, il y a une nouveauté. Alors que la grogne bancaire se fait de plus en plus forte, la Banque nationale «adapte la base de calcul pour le prélèvement de l’intérêt négatif sur les avoirs à vue». Autrement dit, en remontant le montant exonéré de taux négatifs, elle suit le mouvement de la BCE, la semaine dernière: elle allège la charge pour les banques ou les institutions qui déposent leurs liquidités auprès d’elle.
A la botte des banquiers?
Ces derniers mois, les banquiers suisses se sont montrés de plus en plus irrités par les effets sur leurs affaires de taux négatifs qui perdurent désormais depuis presque cinq ans. Jeudi, la faîtière Swissbanking s’est félicitée, d’une part, que la BNS n’ait pas davantage baissé ses taux, mais aussi des ajustements sur ses méthodes de calcul. «Cela démontre que la BNS prend en compte la situation des banques.»
Au premier semestre 2019, les taux négatifs ont rapporté environ 1 milliard de francs à la BNS. Ils avaient déjà généré un gain de 2 milliards par an, tant en 2017 qu’en 2018. «La charge qu’ils représentent doit être limitée au strict minimum», affirme désormais la banque centrale.
Pour l’Union syndicale suisse (USS), la BNS «abdique face à la place financière». La faîtière des syndicats regrette que les nouvelles exonérations de taux négatifs se concentrent sur les banques et les investisseurs, plus mobiles sur le marché des devises que ne le sont l’AVS et les caisses de pension. Ces dernières «sont tenues de verser des prestations en francs. Elles doivent donc placer une grande partie de leurs actifs en francs. Elles devraient bénéficier d’exemptions plus larges.».
La BNS, elle, justifie cette mesure par «le contexte de taux d’intérêt bas à l’échelle mondiale, qui s’est encore renforcé et pourrait se poursuivre sur une plus longue période». Selon les analystes, le relèvement du niveau d’exonération et la possibilité de l’adapter chaque mois s’apparente à une mesure d’assouplissement monétaire. «La BNS se donne ainsi les moyens de pouvoir baisser les taux, si l’incertitude internationale se renforçait et si la conjoncture européenne se dégradait fortement», résume Sophie Casanova, économiste du groupe Edmond de Rothschild.
Economie de 840 millions
Maxime Botteron, de Credit Suisse, partage le même avis. En agissant ainsi, la BNS se facilite l’accès à une future baisse. Mais il nuance: «Cette mesure devrait avoir peu d’effet sur la limite inférieure à partir de laquelle les taux négatifs provoqueraient des retraits massifs en espèces.» De plus, «cette décision réduit le coût de la détention de francs, cela pourrait être contre-productif dans la lutte contre les pressions haussières».
A fin 2018, les avoirs parqués à la BNS atteignaient 574 milliards de francs. Un peu moins de la moitié d’entre eux, soit 269 milliards, étaient soumis aux taux négatifs. Selon les premières estimations de Credit Suisse, le changement de régime devrait permettre à 113 milliards de francs de dépôts supplémentaires d’être exonérés. Soit, pour les banques domestiques, une économie de 840 millions de francs par an.
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