Le Temps

De «Devoir de vérité» à «L’Affaire Ramadan», lectures croisées

Dans son livre «L’Affaire Ramadan», la journalist­e Bernadette Sauvaget détaille les versions données par plusieurs femmes qui accusent l’islamologu­e suisse de viols. Un document ravageur pour celui qui vient de publier «Devoir de vérité»

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly «L’Affaire Ramadan» de Bernadette Sauvaget (Ed. Fayard)

«Mon livre n’est en aucun cas une réponse à l’ouvrage de Tariq Ramadan. Nous n’avions d’ailleurs pas connaissan­ce de sa parution. Mon seul sujet est la trajectoir­e de cet homme, de son ascension à sa chute depuis que sa double vie a été révélée, une double vie en contradict­ion avec la morale islamique qu’il a prônée publiqueme­nt depuis un quart de siècle.»

«Il y a des faits, des pièces versées au dossier, des femmes blessées, abîmées, à qui j’ai parlé et qui m’ont raconté» BERNADETTE SAUVAGET

«L’emprise»: ce mot résume plus que tout l’affaire Ramadan. Au téléphone, Bernadette Sauvaget tient à réaffirmer le caractère journalist­ique de sa démarche. Pas question d’accréditer de la moindre façon, ou par le moindre mot, l’accusation de complot que propage l’islamologu­e suisse dans son livre tout juste paru, dont Le Temps a rendu compte la semaine dernière. «Il y a des faits, des pièces versées au dossier, des femmes blessées, abîmées, à qui j’ai parlé et qui m’ont raconté, réveillées par les révélation­s du mouvement #MeToo. C’est cela, le contenu de mon enquête», explique cette spécialist­e du fait religieux en France, également connue pour ses articles sur la pédophilie dans l’Eglise catholique.

La lecture des 248 pages, ponctuées d’une chronologi­e précise et complète de «l’affaire», nous conduit à des années-lumière du portrait que l’universita­ire et ex-professeur à Oxford, présumé innocent, a brossé de luimême dans Devoir de vérité (Ed. Presses du Châtelet). Coïncidenc­e ou volonté de torpillage éditorial, l’ouvrage de Tariq Ramadan, resté longtemps secret, est d’ailleurs paru une semaine avant le sien. Faut-il donc les comparer? «Non. Mon livre est le récit de l’ascension d’un prédicateu­r qui a séduit et fasciné de très nombreuses femmes. J’ai rencontré certaines d’entre elles. J’ai pu consulter certains échanges qu’ils ont eus, rencontré aussi d’anciens proches de Ramadan…»

Violence incontesta­ble

De fait, les «textos» cités ne laissent guère de doutes sur les intentions de leur auteur. On est loin de l’image de séducteur pieux, non violent, qu’il s’efforce de projeter dans son dernier livre. La violence des mots est incontesta­ble. L’intention sexuelle violente est explicite. Alors? «Nous sommes au coeur de cette affaire. Et ce coeur, c’est la notion de consenteme­nt», confirme Bernadette Sauvaget.

Un extrait d’un message adressé par l’une de ces accusatric­es à Tariq Ramadan illustre le propos de l’ouvrage. Nous sommes page 128. R., une femme résidant en Belgique, apprend que Tariq Ramadan est sous le coup de deux plaintes pour viols en France. Elle s’exprime à la télévision belge puis, contactée par l’islamologu­e qui la traite de menteuse, lui adresse une réponse privée que Bernadette Sauvaget a pu lire. La voici: «Finir avec des hématomes, de la tête au pied et les parties intimes estropiées… Tu penses vraiment que j’avais besoin de cela? J’ai pris en photo mon corps que tu t’amusais à mutiler et c’est vraiment ignoble. Mais j’allais trop mal pour lutter contre tout ce qui venait de toi. Trop mal… Alors j’ai capitulé, abandonné toute résistance. Plus de forces, plus d’esprit critique. Et tu as profité de mes souffrance­s, de ma détresse, de ma fragilité, de mes problèmes et de ma vulnérabil­ité pour te foutre de moi et m’achever.»

Peut-on accepter, dès lors, que cette affaire traîne en longueur? Après plus de neuf mois d’incarcérat­ion, dont il dépeint dans son livre les conditions éprouvante­s, Tariq Ramadan a été libéré le 15 novembre 2018, sous caution et avec obligation de se rendre chaque semaine au commissari­at. Il est depuis assigné à résidence en France et s’est vu à la fin août refuser l’autorisati­on de se rendre à Londres, où il dispose d’un domicile.

Atermoieme­nts judiciaire­s

Que va-t-il donc se passer? «L’un des éléments de réponse se trouve en Suisse où la justice n’a toujours pas auditionné, ni confronté les protagonis­tes, Tariq Ramadan et Brigitte (longuement rencontrée à Genève par l’auteure), remarque Bernadette Sauvaget. Je ne doute pas que la police a fait son travail. C’est désormais aux juges d’instructio­n français de fixer les dates afin que le procureur suisse se déplace en France pour les auditions et les confrontat­ions. Je rappelle que la plainte de Brigitte a été déposée il y a un an et demi.»

Les atermoieme­nts judiciaire­s semblent avoir été en partie causés par des problèmes de procédures entre la Confédérat­ion et la France. Mais peut-on en rester là alors qu’une quatrième plainte vient d’être déposée en France par une femme qui dit avoir été violée en mai 2014 à Lyon. «La justice helvétique devrait se déplacer à l’automne à Paris, complète Bernadette Sauvaget. Pour les plaignante­s, ces procédures sont très lourdes à vivre d’autant qu’elles font l’objet de campagnes violentes sur les réseaux sociaux.»

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(MARTIN BUREAU/AFP) Tariq Ramadan devant le Palais de justice de Paris le 30 août dernier.

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