De «Devoir de vérité» à «L’Affaire Ramadan», lectures croisées
Dans son livre «L’Affaire Ramadan», la journaliste Bernadette Sauvaget détaille les versions données par plusieurs femmes qui accusent l’islamologue suisse de viols. Un document ravageur pour celui qui vient de publier «Devoir de vérité»
«Mon livre n’est en aucun cas une réponse à l’ouvrage de Tariq Ramadan. Nous n’avions d’ailleurs pas connaissance de sa parution. Mon seul sujet est la trajectoire de cet homme, de son ascension à sa chute depuis que sa double vie a été révélée, une double vie en contradiction avec la morale islamique qu’il a prônée publiquement depuis un quart de siècle.»
«Il y a des faits, des pièces versées au dossier, des femmes blessées, abîmées, à qui j’ai parlé et qui m’ont raconté» BERNADETTE SAUVAGET
«L’emprise»: ce mot résume plus que tout l’affaire Ramadan. Au téléphone, Bernadette Sauvaget tient à réaffirmer le caractère journalistique de sa démarche. Pas question d’accréditer de la moindre façon, ou par le moindre mot, l’accusation de complot que propage l’islamologue suisse dans son livre tout juste paru, dont Le Temps a rendu compte la semaine dernière. «Il y a des faits, des pièces versées au dossier, des femmes blessées, abîmées, à qui j’ai parlé et qui m’ont raconté, réveillées par les révélations du mouvement #MeToo. C’est cela, le contenu de mon enquête», explique cette spécialiste du fait religieux en France, également connue pour ses articles sur la pédophilie dans l’Eglise catholique.
La lecture des 248 pages, ponctuées d’une chronologie précise et complète de «l’affaire», nous conduit à des années-lumière du portrait que l’universitaire et ex-professeur à Oxford, présumé innocent, a brossé de luimême dans Devoir de vérité (Ed. Presses du Châtelet). Coïncidence ou volonté de torpillage éditorial, l’ouvrage de Tariq Ramadan, resté longtemps secret, est d’ailleurs paru une semaine avant le sien. Faut-il donc les comparer? «Non. Mon livre est le récit de l’ascension d’un prédicateur qui a séduit et fasciné de très nombreuses femmes. J’ai rencontré certaines d’entre elles. J’ai pu consulter certains échanges qu’ils ont eus, rencontré aussi d’anciens proches de Ramadan…»
Violence incontestable
De fait, les «textos» cités ne laissent guère de doutes sur les intentions de leur auteur. On est loin de l’image de séducteur pieux, non violent, qu’il s’efforce de projeter dans son dernier livre. La violence des mots est incontestable. L’intention sexuelle violente est explicite. Alors? «Nous sommes au coeur de cette affaire. Et ce coeur, c’est la notion de consentement», confirme Bernadette Sauvaget.
Un extrait d’un message adressé par l’une de ces accusatrices à Tariq Ramadan illustre le propos de l’ouvrage. Nous sommes page 128. R., une femme résidant en Belgique, apprend que Tariq Ramadan est sous le coup de deux plaintes pour viols en France. Elle s’exprime à la télévision belge puis, contactée par l’islamologue qui la traite de menteuse, lui adresse une réponse privée que Bernadette Sauvaget a pu lire. La voici: «Finir avec des hématomes, de la tête au pied et les parties intimes estropiées… Tu penses vraiment que j’avais besoin de cela? J’ai pris en photo mon corps que tu t’amusais à mutiler et c’est vraiment ignoble. Mais j’allais trop mal pour lutter contre tout ce qui venait de toi. Trop mal… Alors j’ai capitulé, abandonné toute résistance. Plus de forces, plus d’esprit critique. Et tu as profité de mes souffrances, de ma détresse, de ma fragilité, de mes problèmes et de ma vulnérabilité pour te foutre de moi et m’achever.»
Peut-on accepter, dès lors, que cette affaire traîne en longueur? Après plus de neuf mois d’incarcération, dont il dépeint dans son livre les conditions éprouvantes, Tariq Ramadan a été libéré le 15 novembre 2018, sous caution et avec obligation de se rendre chaque semaine au commissariat. Il est depuis assigné à résidence en France et s’est vu à la fin août refuser l’autorisation de se rendre à Londres, où il dispose d’un domicile.
Atermoiements judiciaires
Que va-t-il donc se passer? «L’un des éléments de réponse se trouve en Suisse où la justice n’a toujours pas auditionné, ni confronté les protagonistes, Tariq Ramadan et Brigitte (longuement rencontrée à Genève par l’auteure), remarque Bernadette Sauvaget. Je ne doute pas que la police a fait son travail. C’est désormais aux juges d’instruction français de fixer les dates afin que le procureur suisse se déplace en France pour les auditions et les confrontations. Je rappelle que la plainte de Brigitte a été déposée il y a un an et demi.»
Les atermoiements judiciaires semblent avoir été en partie causés par des problèmes de procédures entre la Confédération et la France. Mais peut-on en rester là alors qu’une quatrième plainte vient d’être déposée en France par une femme qui dit avoir été violée en mai 2014 à Lyon. «La justice helvétique devrait se déplacer à l’automne à Paris, complète Bernadette Sauvaget. Pour les plaignantes, ces procédures sont très lourdes à vivre d’autant qu’elles font l’objet de campagnes violentes sur les réseaux sociaux.»
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