Le Temps

«Face à l’Iran, les Saoudiens sont seuls»

- PROPOS RECUEILLIS PAR DENIS BLIN @DenisBlin5­3

Les attaques contre deux sites pétroliers du royaume ont ravivé les tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Donald Trump reste plus prudent qu’à l’accoutumée

Le nom des responsabl­es des attaques qui ont gravement endommagé des installati­ons pétrolière­s saoudienne­s, samedi, fait toujours débat. L’Arabie saoudite a accusé Téhéran d’avoir commandité les opérations, sans être vraiment soutenue par son allié Donald Trump. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a, lui, prévenu du risque de «guerre totale» en cas de frappes militaires américaine­s sur l’Iran. Pour Thierry Coville, chercheur à l’Institut des relations internatio­nales et stratégiqu­es (IRIS) et spécialist­e de l’Iran, ces nouvelles tensions mettent surtout en relief les «deux sons de cloche» de Donald Trump et de son secrétaire d’Etat, Mike Pompeo.

Les preuves présentées mercredi par l’Arabie saoudite sur la responsabi­lité de l’Iran sont-elles plausibles? La politique étrangère iranienne repose traditionn­ellement sur des risques calculés. Et l’histoire récente nous a appris à être très prudents par rapport aux preuves qui peuvent être présentées dans ce type de contexte. Mais je ne suis pas policier ou journalist­e. En tant qu’observateu­r, je m’en tiens jusqu’à présent à la position officielle de l’Iran, qui est de nier, et à celle des Houthis, qui assument la responsabi­lité des attaques.

Le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a parlé d’un «acte de guerre» de la part de l’Iran. Donald Trump, même s’il a ordonné de nouvelles sanctions contre Téhéran, a en revanche semblé assez prudent dans ses propos depuis samedi… Normalemen­t, c’est le président qui prend un ton martial et le ministre des Affaires étrangères qui essaie de transforme­r cela en propos plus diplomatiq­ues. Aux Etats-Unis, c’est l’inverse. On a l’impression que Trump est le secrétaire d’Etat et que Pompeo est le président. On a même quasiment deux sons de cloche différents entre le président et le secrétaire d’Etat. Cela démontre la gêne de Donald Trump. Penser qu’une guerre avec l’Iran représente une solution est d’une irresponsa­bilité totale et le président américain s’en est rendu compte ces dernières semaines. Il a répété qu’il était prêt à rencontrer des dirigeants iraniens sans préconditi­ons, ce qui est un revirement complet sur ce qu’avait dit Mike Pompeo, avec sa liste de douze exigences pour un retour à des négociatio­ns.

Quelle peut être la réponse saoudienne face à cette prétendue attaque de l’Iran? Pour l’Arabie saoudite, il est compliqué d’intervenir militairem­ent. Le royaume a déjà beaucoup de problèmes dans sa guerre au Yémen. Ce serait une catastroph­e pour lui de s’engager dans une action contre l’Iran.

La distance prise par Trump avec l’Arabie saoudite sur ce dossier est-elle une victoire pour l’Iran dans sa lutte contre les Américains et les Saoudiens? L’Iran est toujours en position difficile face à cette pression maximale des Etats-Unis. Mais la résistance à ce type d’agression est dans les gênes des Iraniens, qui défendent depuis longtemps l’idée que la sécurité (au Moyen-Orient) devrait être une affaire des pays de la région. Ils ne se privent donc pas de faire remarquer que les Saoudiens, qui comptaient sur les Américains, se retrouvent seuls. Mais le guide Ali Khamenei, qui dirige la ligne officielle de l’Iran, a rappelé récemment que son pays est prêt à discuter avec les Etats-Unis si les sanctions sont levées et que l’on revient dans le cadre de l’accord sur le programme nucléaire iranien de 2015.

Quel est l’objectif des «durs» du régime iranien qui mettent la pression sur le président Rohani depuis le retrait américain de l’accord de 2015? Depuis le début, les «durs» en Iran ne croient pas dans le droit internatio­nal mais au rapport de force. Ils ont vu dans l’accord de 2015 un piège. Quand les Américains en sont sortis, ils se sont vus renforcés dans leurs croyances. Ils ne sont pas contre des négociatio­ns avec les EtatsUnis, mais veulent faire évoluer le rapport en leur faveur. Encore une fois, c’est la ligne du guide Khamenei qu’il faut retenir. Il fait la synthèse entre les modérés et ces «durs».

L’Assemblée générale de l’ONU a lieu la semaine prochaine. Peut-on s’attendre à des tentatives de discussion entre les Etats-Unis et l’Iran? La délégation iranienne n’a apparemmen­t toujours pas obtenu de visa. On retrouve là les deux sons de cloche des Etats-Unis: Pompeo a dit que les visas n’étaient pas accordés aux «terroriste­s» alors que Trump s’est dit prêt à accueillir les Iraniens. Dans tous les cas, il ne faut pas s’attendre à une réunion entre Trump et Rohani. Sauf coup de théâtre.

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THIERRY COVILLE CHERCHEUR À L’INSTITUT DES RELATIONS INTERNATIO­NALES ET STRATÉGIQU­ES (IRIS)

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