Le Temps

Dans la Suisse du milieu qui se transforme

L’agglomérat­ion zurichoise s’urbanise à toute vitesse. Les mutations socio-démographi­ques de ce type de régions font bouger les lignes politiques

- CÉLINE ZÜND, BIRMENSDOR­F @celinezund

A 90 ans, Elsa Job habite seule dans l’une des plus anciennes fermes de Birmensdor­f, un village de 6600 habitants dans l’agglomérat­ion de Zurich. Cette bâtisse aux grosses charpentes, entourée d’un jardin fleuri, incarne le passé du bourg paysan. Aujourd’hui, elle n’abrite plus aucune vache mais des étudiants, que la paysanne héberge pour compléter sa modeste retraite.

Comme d’autres habitants de la première heure, Elsa Job a du mal à voir «son» village prendre peu à peu l’allure d’une petite ville. Pourtant, les protestati­ons de la vieille dame auprès des autorités communales n’y ont rien changé: début septembre, quatre barres d’immeubles rectangula­ires sont sorties de terre, à côté de son verger. Trente appartemen­ts de style moderne de 3,5 à 6 pièces, qui se succèdent le long de plates-bandes de terre encore nues, vendus entre 1 et 2 millions l’unité.

Les plaques affichent des noms aux consonance­s indiennes, allemandes ou anglo-saxonnes. Ici vivent des expatriés, des avocats ou ingénieurs venus de Zurich ou de Shanghai. Comme Shinjie, Chinoise de 32 ans, qui s’est installée il y a tout juste deux semaines avec son époux allemand employé dans une entreprise de la chimie. Etudiante à l’Université des sciences appliquées de Zurich (ZHW), elle compte obtenir un diplôme de management en logistique, le domaine où elle travaillai­t en Chine. Le couple a été attiré par la situation géographiq­ue, proche de la ville et de la nature. «Un jour, Birmensdor­f sera un quartier de Zurich», estime la jeune femme.

Brassage des population­s

Sous ses airs de bourg paisible, Birmensdor­f, terreau originel de l’UDC, se trouve au coeur des mutations récentes des banlieues zurichoise­s à l’urbanisati­on galopante. Lors des dernières élections, le parti de la droite nationalis­te a perdu près de 8% de voix dans ce village à 12 kilomètres de Zurich, passant de 36% en 2015 à 28,2%. Une érosion qui se retrouve dans bon nombre des quelque 480 communes le long de la ceinture zurichoise, en particulie­r dans la vallée de la Limmat.

Un mouvement dû à l’urbanisati­on et au brassage des population­s, d’abord. Les nouveaux quartiers d’habitation se multiplien­t dans cette région, pour absorber la croissance démographi­que de la ville. Ils portent les noms de Glattpark (Opfikon), Rietpark (Schlieren) ou Limmatfeld (Dietikon) et promettent des complexes modernes comprenant appartemen­ts par centaines, bureaux, crèches, bars et restaurant­s, à quelques encablures du centre. Les nouveaux habitants viennent souvent de Zurich, lorsqu’ils ne proviennen­t pas des capitales internatio­nales.

L’améliorati­on du réseau de transport a été le premier moteur de cette évolution. La première étape de la ligne de tramway du Limmattal, qui doit relier d’ici à 2022 Altstetten, quartier ouest de Zurich, à l’Argovie en traversant la vallée de la Limmat, a été inaugurée début septembre. Elle relie en trois minutes le centre à Schlieren, ancienne zone industriel­le en expansion continue, qui reflète les développem­ents successifs de la banlieue avec ses barres d’immeubles moroses, ses kebabs et son pôle de 45000 km² à côté de la gare, dédié aux start-up actives dans la biotechnol­ogie.

La croissance démographi­que n’explique pas à elle seule les mutations en cours. La Suisse du milieu se transforme de l’intérieur. De nouveaux thèmes ont émergé peu à peu, repoussant les élans isolationn­istes au second plan. Birmensdor­f, à seulement 15 minutes de Zurich en train, accueille des jeunes familles attirées par la proximité de la ville et des espaces verts, ou repoussées par les prix de l’immobilier à Zurich. Dans les rues, où l’on se salue à coups de «Grüezi», on croise des jeunes parents avec enfants sur des vélos cargo. Et, à côté de la traditionn­elle Migros, un barber shop et une épicerie bio ont ouvert leurs portes.

La ville à la campagne

Un train tous les quarts d’heure, quatre lignes de bus, une piscine, une école primaire, une école secondaire, le tout entouré de collines verdoyante­s. «Ici, c’est la ville à la campagne!» s’exclame le maire, Bruno Knecht. L’homme qui vit à Birmensdor­f depuis trente-deux ans accueille à bras ouverts la métamorpho­se de son village. Il a fallu investir pour agrandir rapidement les écoles et les infrastruc­tures sportives. Et cela ne se passe pas sans difficulté­s, en particulie­r pour les finances communales. «Parmi les nouveaux arrivants, on compte deux enfants pour un adulte. Ce sont surtout de jeunes familles qui viennent de s’endetter pour acheter un logement. Résultat: il y a moins d’argent dans les caisses», souligne le maire, un employé de la banque Rothschild qui reste sans parti, mais qui admet lui-même ses affinités écologiste­s.

Gaelle, enseignant­e en congé maternité, fait ses courses, le couffin de bébé pendu à un bras et sa fille d’environ 4 ans à l’autre. Après avoir passé ses études et le début de sa vie profession­nelle à Zurich, elle a décidé de revenir dans le village de ses parents, après l’arrivée des enfants. Cette population nourrit de nouvelles attentes en matière de politique énergétiqu­e, de transports publics, de places de crèche ou encore d’infrastruc­tures scolaires, qui se reflètent sur les préférence­s politiques: Birmensdor­f est l’une des communes zurichoise­s qui a connu le plus grand brassage entre partis, lors des dernières élections. Les écologiste­s ont quasiment doublé leur force, passant de 4,4 à 7,1% pour les Verts, et de 7,4 à 15,1% pour les Vert’libéraux.

Les Vert’libéraux occupent le terrain au centre de l’échiquier politique. Ils se veulent ouverts vers l’avenir et pragmatiqu­es, orientés vers les solutions et à la recherche du compromis: «Beaucoup de nos nouveaux membres n’avaient jamais été actifs en politique avant. Ils se sentent concernés par les thèmes que nous portons: le changement climatique, l’environnem­ent, une économie saine, de meilleures infrastruc­tures, un congé parental, le mariage pour tous, mais aussi les relations avec l’UE comme partenaire», souligne Sonja Gehrig, députée vert’libérale au Grand Conseil zurichois qui vient du Limmattal.

Yannik Hälg, de Birmensdor­f, candidat pour les Jeunes UDC au Conseil national, reste pourtant convaincu que son parti représente au mieux les intérêts des population­s des agglomérat­ions: «Nous nous engageons pour des baisses d’impôts et pour réduire les bouchons sur les autoroutes. Ceux qui votent pour les Verts aujourd’hui se rendront compte dans quatre ans qu’il y aura moins d’argent à dispositio­n.»

Son parti n’a pas perdu toute sa force de mobilisati­on, comme le montre un épisode récent: l’exécutif communal a tenté d’augmenter les impôts, en vain. Cinq cents villageois ont accouru dans une assemblée communale habituelle­ment fréquentée par 100 personnes pour s’opposer à la mesure. Et, lorsque le maire a invité Regula Rytz, présidente des Verts suisses, à tenir un discours du 1er Août cette année, il a reçu des lettres l’accusant de trahir l’esprit du village.

«Ceux qui votent pour les Verts se rendront compte dans quatre ans qu’il y aura moins d’argent à dispositio­n» YANNICK HÄLG, CANDIDAT JEUNES UDC

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(RENÉ RUIS POUR LE TEMPS) Pour les habitants de Birmensdor­f (ZH), voir leur village devenir un «quartier de Zurich» ne va pas de soi.

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