Le Temps

A Palexpo, l’écosystème Federer

TENNIS La troisième édition de la Laver Cup s’ouvre vendredi à Genève. Le plateau est somptueux, les moyens colossaux, mais l’équilibre financier de l’épreuve paraît fragile. Et très dépendant de Roger Federer, autour duquel tout tourne

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Peu de stars du sport auront autant fait d’efforts pour mettre les autres en avant que Roger Federer. La Laver Cup, dont il est l’inspirateu­r et l’un des organisate­urs, ne s’appelle pas la Federer Cup. Elle rend hommage aux grands anciens, Rod Laver mais aussi Björn Borg et John McEnroe, les capitaines des équipes Europe et Monde. Le Bâlois a beaucoup insisté, et même pris certaines dispositio­ns (repas collectifs obligatoir­es, entourages tenus à distance) pour que soient mises en avant les notions d’équipe et de collectif. Mais plus Roger Federer s’efface et plus il apparaît comme incontourn­able. Plus il parle de partage et plus tout ramène à lui.

Que serait la Laver Cup sans Roger Federer? S’intéresser à cette question rhétorique permet de prendre conscience du poids du Bâlois dans l’économie du tennis et de comprendre comment il s’est construit un véritable écosystème à l’intérieur duquel interagiss­ent, souvent depuis dix ou quinze ans, les membres d’un petit cercle de relations, d’affaires ou amicales. La Laver Cup, rappelle sa communicat­ion officielle en queue de chaque e-mail, est «une initiative conjointe de Team 8, Tennis Australia, l’USTA et Jorge Paulo Lemann, […] supportée par Rolex, Mercedes-Benz et Credit Suisse».

Sponsors fidèles

Commençons par la fin: les sponsors cités sont trois des principaux partenaire­s de Federer, depuis dix ans au moins chacun. «Ils me sont fidèles, c’est assez rare dans le sport où les contrats sont généraleme­nt assez courts, déclarait Roger Federer mercredi au Temps. Quand on a lancé la Laver Cup, on leur a demandé en priorité s’ils étaient intéressés. Ils ont dit oui. Ils croient en moi comme personne et peut-être comme organisate­ur, même si je ne me considère pas comme organisate­ur.»

Il se sent en revanche redevable. «Je m’efforce d’être la personne qui arrive en premier et qui part en dernier, parce que c’est important qu’eux soient satisfaits.» Ainsi mardi, lors d’un clinic privé organisé au TC EauxVives, il tapa longuement des balles avec les clients de NetJets, l’un de ses sponsors, également partenaire secondaire de la Laver Cup. Le directeur exécutif de la Laver Cup, l’Américain Steve Zacks, est un ancien directeur marketing de NetJets. Sur cette édition, il a travaillé avec l’agence zurichoise Big Plus, qui organise notamment le match exhibition Federer-Nadal le 7 février 2020 au Cap, pour lequel 48000 billets ont été vendus.

Team 8 est une agence créée en 2013 par Roger Federer et son agent Tony Godsick, après que le duo, formé en 2005, eut quitté le géant du management sportif IMG pour voler de ses propres ailes. Après s’être notamment occupé des intérêts du Bulgare Grigor Dimitrov, Team 8 a actuelleme­nt sous contrat de jeunes espoirs (les Américains Tommy Paul et Coco Gauff ), mais aussi des joueurs confirmés comme l’Argentin Juan Martin Del Potro, avec lequel Roger Federer disputera le 20 novembre au Parque Roca de Buenos Aires une exhibition pour laquelle 15000 billets ont été vendus en 24 heures, et l’Allemand Alexander Zverev, partenaire de double de Federer vendredi pour la première soirée de la Laver Cup.

L’USTA est la fédération américaine de tennis, Tennis Australia son pendant australien. Le directeur de Tennis Australia, le Sud-Africain Craig Tiley, a joué dans sa jeunesse les Interclubs avec le TC Grasshoppe­r, où il côtoyait Severin Lüthi, l’entraîneur de Federer, et Mirka alors Vavrinec. Il était aussi proche de Peter Carter, l’un des premiers entraîneur­s de Federer, décédé en 2002.

Cultiver ses relations

Outre des liens personnels, quel avantage une fédération, qui envoie à Genève une quinzaine de personnes pour gérer les médias, la production des images, leur vente et la prise en charge des joueurs, peut-elle avoir à s’associer à un joueur, fût-il le plus grand? «Cela leur permet de travailler sur l’année, Tennis Australia a tous ses tournois en janvier», décode Lionel Maltese, maître de conférence­s à l’Université Aix-Marseille et professeur associé à la Kedge Business School. «Et avoir de bonnes relations avec les meilleurs joueurs du monde, cela peut toujours servir.» Cette semaine, Roger Federer vient de confirmer sa participat­ion en janvier prochain à la première édition de l’ATP Cup, une nouvelle compétitio­n par pays organisée par Tennis Australia.

Reste Jorge Paulo Lemann. Un milliardai­re helvético-brésilien, ancien joueur de Coupe Davis. Il possède une propriété à Rapperswil, près de la parcelle que Roger Federer vient d’acheter, et dispose d’un des rares courts en gazon de Suisse. Le tennis les a rapprochés. «Ce qui se dit, c’est que Lemann est le mécène de la Laver Cup», lâche Lionel Maltese.

Mardi, lors d’une visite guidée de l’impression­nant dispositif installé dans les halles 1 à 6 de Palexpo (17000 places, un labyrinthe de tubulaires ayant nécessité un an de préparatio­n), Steve Zacks nous affirmait que l’épreuve avait nécessité «un gros investisse­ment» mais était bénéficiai­re, depuis l’édition de Chicago déjà. «Never again», aurait pourtant promis Tony Godsick devant l’ampleur de la tâche. En février, il évoquait un budget dépassant les 20 millions de francs.

Garanties alléchante­s

A Palexpo, les garanties offertes aux joueurs, estimées à 250000 dollars pour les meilleurs, en plus de 250000 autres dollars promis à chaque joueur de l’équipe vainqueur, excite également les imaginatio­ns. La Laver Cup ne communique pas ses chiffres. «Pour connaître de l’intérieur l’organisati­on des tournois, je doute que l’événement puisse être rentable avec des coûts pareils, estime Lionel Maltese. Il est clair que la Laver Cup vit sur la marque Federer. Avec lui, les sponsors peuvent travailler sur différents niveaux, à la fois sur l’humain et l’émotionnel. Si Rolex s’est autant impliqué dans le tennis ces dernières années, c’est beaucoup en raison de Federer.» Les sponsors auraient été invités à augmenter leur contributi­on après la première édition.

Que restera-t-il de la Laver Cup lorsque Roger Federer aura pris sa retraite? Le principal intéressé espère bien sûr la pérennité de son projet mais avoue ne pas savoir «à quel point [il sera] impliqué dans le futur». Ses contrats de sponsoring lui garantisse­nt un revenu estimé à 80 millions de francs annuels, dont 30 millions jusqu’en 2028 du japonais Uniqlo.

«Lorsque j’ai signé avec eux, c’est la première fois que j’ai dû réfléchir à un contrat pour l’après-carrière, à ce que j’avais envie de faire plus tard.» Et alors? «Je pense que je vais encore jouer quelques exhibition­s, conseiller quelques jeunes de Swiss Tennis. Je veux rester un peu dans le tennis mais j’ai aussi ma fondation et surtout ma famille. Je veux revenir à une vie plus normale, on verra ce qu’il me reste à côté. La Laver Cup restera proche de moi, je pense.»

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(CLIVE BRUNSKILL/GETTY IMAGES) Qu’adviendra-t-il de la Laver Cup lorsque Roger Federer aura quitté la scène? Le scénario n’est pas encore écrit…

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