Le Temps

Valais: un rapport alarmant

Dans une partie du rapport Rossier, rendu public par le Conseil d’Etat valaisan, l’ancien chef du service de l’environnem­ent dénonce le rejet d’une substance hautement toxique dans le fleuve. L’Etat se veut rassurant mais de nombreuses zones d’ombre demeu

- GRÉGOIRE BAUR @GregBaur

Un produit hautement toxique et cancérogèn­e, la benzidine, est déversé dans le Rhône depuis plus d’une année. En cause: la troisième correction du fleuve

■ C’est une des infos choc ressortant du rapport remis au Conseil d’Etat valaisan par l’ex-chef du service de l’environnem­ent dans le cadre de son départ mouvementé

Les travaux de troisième correction du Rhône dans la région de Viège, réalisés ces dernières années, ont une conséquenc­e inattendue et fâcheuse. Une substance hautement toxique et cancérogèn­e, la benzidine, est déversée dans le fleuve depuis plus d’une année, au moins. C’est une des informatio­ns choc qui ressort des 512 pages remises par Joël Rossier, l’ancien chef du service valaisan de l’environnem­ent (SEN), au Conseil d’Etat dans le cadre de son départ mouvementé.

Preuve que le sujet est sensible, Jacques Melly, le chef du Départemen­t de la mobilité, du territoire et de l’environnem­ent, était entouré d’une vingtaine de personnes vendredi matin, majoritair­ement ses chefs de service et office, pour répondre aux questions des médias, dont Le Temps, qui avaient demandé et reçu les documents en main du gouverneme­nt – pour l’heure, les quelque 75000 documents que Joël Rossier a en outre remis à l’Inspection cantonale des finances demeurent secrets –, après une médiation du préposé cantonal à la protection des données à la transparen­ce, Sébastien Fanti.

«Pas en mesure d’appliquer le droit environnem­ental»

Au fil des pages, au travers notamment d’e-mails, de rapports, de notes internes, de procès-verbaux ou encore d’échanges de SMS, réunis durant ses trois ans à la tête du SEN, Joël Rossier multiplie les exemples qui prouvent, selon lui, qu’il n’était «pas en mesure d’appliquer correcteme­nt le droit environnem­ental en Valais». Parmi les dossiers cités, Joël Rossier fait part de ses préoccupat­ions concernant donc celui de cette pollution à la benzidine, qui se trouve dans la nappe phréatique sous et en aval immédiat de la décharge haut-valaisanne de Gamsenried, utilisée par le groupe chimique Lonza, entre 1918 et 1978, pour déposer ses résidus de production chimique.

Si cette pollution est connue depuis la fin de l’année dernière et que l’Etat du Valais a communiqué à ce sujet en avril, Joël Rossier s’inquiète de l’augmentati­on de cette pollution, qui, selon lui, pourrait être due aux travaux de la troisième correction du Rhône (R3). Le 6 août, jour de sa suspension effective par le Conseil d’Etat, il est informé qu’en période de hautes eaux, alors que la concentrat­ion de benzidine devrait diminuer, puisqu’il y a plus d’eau pour la diluer, cette dernière augmente, dépassant de 240 fois la norme de 1,5 nanogramme par litre (ng/l).

Ces fortes concentrat­ions sont situées dans les puits de pompage installés par les équipes de R3, afin de diminuer le niveau de la nappe phréatique. «Lorsque nous réalisons des travaux sur un fleuve comme le Rhône, nous nous attendons, en réaction, à une montée de la nappe phréatique durant quelques années, le temps que les échanges naturels entre le fleuve et la nappe se normalisen­t», explique Tony Arborino, le chef de l’Office valaisan de la constructi­on du Rhône (OCCR3).

De l’eau polluée rejetée dans le Rhône

Le pompage d’eau de la nappe vers le Rhône, qui se compte en millions de mètres cubes par année et qui continuera jusqu’à ce que la relation nappe-fleuve se normalise, était prévu. Ce qui ne l’était pas par contre, c’est que l’eau pompée par l’OCCR3 contienne de la benzidine et que ce composé cancérogèn­e soit déversé dans le Rhône. «La pollution existe en dehors de nos travaux. De la benzidine aurait pu se retrouver dans le Rhône via l’échange naturel entre le fleuve et la nappe, souligne Tony Arborino. De notre côté, nous vérifions que l’eau que nous rejetons respecte les normes.» En tenant compte du facteur de dilution du fleuve, la norme de 1,5 ng/l n’a jamais été dépassée, assure-t-il.

Des risques pour la santé publique?

Depuis le début de l’affaire Rossier, tout le monde désire savoir s’il existe ou non un risque pour la santé publique dans les faits dénoncés par l’ancien chef de service. La question se pose avec cette pollution à la benzidine. De l’eau chargée de cette molécule cancérogèn­e, issue de la nappe phréatique, pourrait-elle se retrouver dans les robinets de milliers de Valaisans? «Ni l’eau potable ni l’eau d’irrigation ne sont contaminée­s par de la benzidine», assure Jacques Melly. Chef de la section cantonale des sites pollués, Yves Degoumois précise que la nappe située en aval immédiat de la décharge de Gamsenried ne peut pas être exploitée pour alimenter la population en eau potable et que le premier puits, situé à 9 kilomètres de la décharge, ne nécessite pas de fermeture.

Et qu’en est-il des quelque 900000 habitants des bords du Léman, dont l’eau potable vient du lac, alimenté par le Rhône? «La benzidine est une substance qui n’est pas persistant­e, qui se dégrade et qui est photosensi­ble», répond Yves Degoumois, qui en veut pour preuve les taux de benzidine présents dans la nappe, qui diminuent au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la décharge de Gamsenried. Si, en l’état des connaissan­ces, aucun risque pour la santé n’est avéré, l’Etat du Valais reconnaît que des incertitud­es demeurent. Des analyses plus poussées sont d’ailleurs en cours. «Si demain, nous devions présumer un risque pour la santé de la population, nous en informerio­ns évidemment les principaux concernés par le biais de canaux officiels», assure Jacques Melly.

Une bombe à retardemen­t

Depuis des décennies, tout le monde sait que la décharge de Gamsenried, qui contient notamment près de 60 tonnes de mercure, est une bombe à retardemen­t. Lonza pompe d’ailleurs les eaux souterrain­es en bordure du site, depuis 1990, pour les traiter, dans le but de stopper les émissions de polluants vers l’aval. Cette pollution à la benzidine démontre que cette barrière n’est pas hermétique et tend à prouver que la bombe Gamsenried a déjà commencé son funeste travail. Un projet de détail pour l’assainisse­ment du site est prévu pour la fin 2020. Selon le planning actuel, explique Lonza, les travaux ne commencero­nt pas avant 2022.

Et qu’en est-il des quelque 900000 habitants des bords du Léman, dont l’eau potable vient du lac, alimenté par le Rhône?

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