Facebook Zurich vous a envoyé une demande d’ami
La firme américaine agrandit ses locaux suisses. En quête de rédemption, elle en profite pour montrer qu’elle est désormais transparente. Reportage entre deux pouces «like» dans ses locaux zurichois
Au sud-ouest de Zurich, la façade d’un bâtiment gris quelconque aux fenêtres rectangulaires porte deux inscriptions: Alexion, du nom d’une multinationale pharmaceutique américaine, et Samsung. Rien de plus. Inhabituellement fondu dans la discrétion helvétique, c’est pourtant là qu’un troisième géant a décidé de prendre racine en Suisse: Facebook.
Il y a quelques semaines, le réseau de Mark Zuckerberg annonçait vouloir muscler ses effectifs zurichois, qui passeront prochainement de 80 à plus de 220 employés. La raison: «L’importance du marché germanophone et la proximité de l’EPFZ.» Profitant de cette actualité, et toujours en quête de rédemption depuis la présidentielle américaine de 2016, le site californien a exceptionnellement ouvert ses locaux à la presse jeudi soir. Reportage à Silicon Zurich.
Jean, baskets et chemise froissée
«Have fun», enjoint le badge reçu à la réception. «Restez en tout temps avec vos hôtes, gardez cet insigne autour du cou en permanence et ne prenez pas de photos dans les bureaux», précise-t-il également. Une fois franchis les portiques d’entrée, tout n’est cependant que détente et volupté dans le grand hall de Facebook Suisse.
«Grüezi Zürich», scandent quatre écrans géants. L’atmosphère du lieu est néo-industrielle, sol en béton et pupitre de présentation boisé. «Express yourself», intime un grand mur blanc effaçable flanqué de stylos – sans rien écrit dessus pour le moment. Un buffet offre jus de fruits frais, bières artisanales zurichoises et quelques vins mousseux. Les responsables du lieu sont tous en jean, baskets, chemise froissée.
«Willkommen», accueille l’un d’entre eux, Tino Krause, le directeur Facebook de la zone Allemagne, Suisse, Autriche: «En Suisse, 2,9 millions de personnes utilisent notre site tous les jours, se réjouit-il. Zurich est un bureau important. Notamment pour ce qui concerne la réalité augmentée.» Venu spécialement de Berlin pour l’occasion, l’Allemand concède qu’il ne connaît pas grand-chose de la ville – qu’importe. Rayonnant, il conclut son allocution en langue de Goethe moderne: «Wir sind super happy.»
La joie de vivre des habitants de Zurich
La parole est donnée au directeur du site zurichois, «Rasmus», comme tout le monde l’appelle ici. En anglais, cet ingénieur – de son propre aveu «peu habitué à prendre la parole en public» – déroule la devise du groupe: «Facebook est profondément convaincu que nous pouvons fournir aux gens de nouvelles manières de se connecter les uns aux autres.» Il ajoute sa fierté d’avoir participé à la création de l’Oculus Quest, casque de réalité virtuelle dernière génération en partie développé par son équipe zurichoise, et rend le micro. Applaudissements nourris de ses collègues.
Vient l’heure de l’annonce du jour: se voulant proche des gens, la firme lance le premier Facebook Community City Guide suisse. Sorte de guide touristique urbain, ce petit livret de bonnes adresses est le fruit d’un travail réalisé avec cinq groupes Facebook locaux. Leurs administrateurs, tous anglophones à une exception près, sont appelés sur le devant de la scène pour se présenter. Au programme des différentes communautés: «salsa dancing», «coffee drinking» ou encore «making friends».
«Le guide est utile pour les étrangers mais aussi pour les gens d’ici», souligne Johannes Prüller, le porte-parole du groupe en Suisse. En feuilletant le recueil, il apparaît que ces derniers pourront y découvrir qu’«avec 400000 habitants, la ville de Zurich dégage un charme presque rural» et que «c’est avant tout la sérénité et la joie de vivre de ses citoyens qui la rendent si vibrante. Have fun exploring!» Haussements de sourcils circonspects de quelques journalistes alémaniques.
Radieux, les gestionnaires des comptes Facebook consultés pour la réalisation du guide sont appelés à faire une photo de groupe devant une grande image de vache sur fond de Cervin. «Et maintenant, nous vous invitons à un petit verre», conclut Johannes Prüller, qui ajoute que «l’Oculus Quest est à disposition pour ceux qui voudraient l’essayer». Une file se forme, ce sera tout pour la visite du jour.
Un «city guide» qui ne lève pas tous les doutes
A l’heure de l’apéro, les employés du site américain distribuent des cartes de visite et offrent leur aide «pour toute question»: «Nous nous préoccupons des intégristes», assurent-ils. «La transparence est l’une des valeurs fondamentales de la compagnie», ajoutent-ils encore. La semaine dernière, le site a justement mis à disposition un nouvel outil pour ausculter les dépenses publicitaires des politiciens suisses sur la plateforme. La divulgation de ces chiffres reste cependant à la discrétion de ces derniers.
Trois ans après avoir découvert que son site pouvait être utilisé pour influencer une élection – avec une amende de 5 milliards de dollars infligée à la compagnie par l’Organisation américaine de protection des consommateurs –, Facebook semble de manière évidente chercher à redorer son blason – jusqu’en Suisse. Accusé d’être devenu un outil de propagande pour les gouvernements autoritaires, le réseau peine toutefois à enrayer les critiques alors que les opposants à ces régimes continuent régulièrement de se plaindre d’avoir été bloqués sur la plateforme, sans explication. Il n’est pas certain que la sortie d’un miniguide touristique zurichois dévie complètement l’attention des médias sur le sujet.
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Rayonnant, le directeur de Facebook pour les marchés germanophones conclut son allocution en langue de Goethe moderne: «Wir sind super happy»