Warren, Sanders, Piketty, AOC et les autres…
AOC, c'est Alexandria Ocasio-Cortez: trop long pour figurer dans un titre mais trop importante pour être ignorée. Les autres sont ceux qui partagent un même constat sur l'économie mais divergent sur les solutions. On y revient.
Quel constat? C'est celui d'une économie qui produit des inégalités et dont le système monétaire arrive à bout de souffle avec des taux d'intérêt négatifs. Quelles sont les munitions qui nous restent en cas de récession si toutes les mesures traditionnelles sont épuisées?
La première réponse est un changement drastique du système économique. Cela s'appelle la théorie moderne de la monnaie. C'est celle dont se réclament les représentants de la gauche des démocrates aux Etats-Unis et de nombreux économistes dits progressistes en Europe.
Pour mieux comprendre ce dont il s'agit, on peut lire le dernier livre du professeur australien William Mitchell, Macroeconomics, (attention 573 pages) ou retenir les quelques points suivants:
Selon cette théorie, un pays qui dispose de sa propre monnaie n'a pas besoin de s'inquiéter de sa dette ni de ses déficits budgétaires. Il peut dépenser autant d'argent qu'il veut tant que cela ne crée pas d'inflation. En général, celle-ci ne vient que quand le secteur public et le secteur privé dépensent trop d'argent en même temps.
Ainsi, l'indépendance de la banque centrale n'est plus nécessaire. Celle-ci est un instrument du Trésor et reçoit de celui-ci les instructions d'imprimer de la monnaie autant que nécessaire.
Dans ce cas, l'Etat n'est plus dépendant de l'impôt pour se financer. L'impôt change donc de finalité. Il devient un instrument de redistribution de la richesse et de combats contre les inégalités sociales. Il peut aller jusqu'à 90% des revenus sans que cela n'ait d'impact négatif sur l'économie.
Si l'Etat peut imprimer de l'argent comme il veut, il n'est pas indispensable de passer à travers le système bancaire. Il est plus efficace de stimuler la demande en distribuant l'argent directement au consommateur final. C'est la fameuse monnaie hélicoptère dispensée à tout le monde.
Finalement, en cas de chômage, l'Etat peut créer un système qui emploie et finance directement tous ceux qui ont perdu leur travail. C'est une sorte d'assurance étatique de garantie universelle de l'emploi, de nouveau financée par la création de monnaie.
Et maintenant les autres. En dehors du cercle des initiés de la théorie moderne de la monnaie, ces propositions ne suscitent pas un enthousiasme délirant. Ils dénoncent un système liberticide (Thomas Piketty propose une carte carbone individuelle contrôlant les émissions de CO2 de chacun), confiscatoire par le taux d'impôt ou suicidaire en se mettant en marge de l'économie mondiale.
Pourtant, au niveau de la Banque centrale européenne, aussi bien Mario Draghi que Christine Lagarde reconnaissent que les politiques monétaires actuelles ne peuvent pas tout faire. Il est nécessaire qu'elles soient complétées par des stimulus fiscaux ainsi qu'une nouvelle approche budgétaire plus souple.
En Allemagne, Dieter Kempf, président de la fédération allemande des industries (BDI) pense qu'il faut maintenant mettre de côté l'objectif budgétaire du «schwarze Null». Selon lui les temps ont changé. «Le boom économique arrive à sa fin. L'Etat peut emprunter à des taux d'intérêt négatif (-0.6% sur des obligations à 10 ans) et nous avons un gros déficit d'investissement.» Incidemment, nous avions dit la même chose dans notre chronique du 11 mai sur le frein à l'endettement.
Pour en revenir à la nouvelle théorie monétaire, pourquoi donc un tel extrémisme? Sans doute en réaction aux idées de Trump et du populisme. Plus profondément, dans un livre publié en 1969 sur la Révolution introuvable, Raymond Aron soulevait déjà le paradoxe inhérent des sociétés modernes: d'une part un système démocratique égalitaire, de l'autre un système économique productiviste et hiérarchisé.
C'est la tension entre ces deux objectifs apparemment contradictoires qui anime aujourd'hui tous nos débats de société. Et cela ne va pas cesser de sitôt.
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