Le Temps

L’économie de course fixe les limites sur marathon

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Dimanche 29 septembre 2019, Marathon de Berlin. A 37 ans, l'Ethiopien Kenenisa Bekele gagne la course en 2h01'41, à seulement deux secondes du record du monde que le Kényan Eliud Kipchoge avait établi en 2h01'39 l'année précédente sur le même parcours.

Moins de 2h chez les hommes

Ces deux performanc­es pourraient être l'entrée en matière pour la tentative de faire tomber la barrière des deux heures sur 42,195 kilomètres que le même Kipchoge effectuera ce samedi à Vienne, trente-six ans avant les prédiction­s les plus optimistes et deux ans après un premier essai en 2017 à Monza (résultat final: 2h00: 25).

Le coureur kényan a les caractéris­tiques idéales pour être celui qui réussira: une petite taille, une enfance passée à haute altitude avec une activité physique journalièr­e importante, une consommati­on maximale d'oxygène (VO2 max) élevée, une capacité à exploiter un pourcentag­e important de VO2 max sur la durée d'un marathon et surtout une économie de course exceptionn­elle.

Cette notion exprime la dépense énergétiqu­e par kilomètre parcouru, un concept équivalent à la consommati­on d'essence d'une voiture. Les meilleurs coureurs d'Afrique de l'Est ont globalemen­t une économie de course 15% meilleure que celle des coureurs européens, ce qui explique pour beaucoup leur domination dans les épreuves d'endurance.

Moins de 2h15 chez les femmes

Une économie de course hors norme serait aussi la principale qualité physiologi­que ayant permis à Paula Radcliffe d'établir le record du monde féminin sur cette distance à Londres en 2013, en 2h15: 25.

La Britanniqu­e possédait évidemment une VO2 max (l'habilité à transporte­r et à utiliser l'oxygène au niveau musculaire) très élevée (70 mlO2/kg/min) mais qui est restée relativeme­nt stable au cours des dix ans qui ont précédé son record. Pour améliorer son économie de course de 15% sur cette période, et avec elle ses performanc­es, elle s'est astreinte à une préparatio­n physique intégrant du travail pliométriq­ue (bondisseme­nts) et de musculatio­n, visant l'améliorati­on de son explosivit­é et de sa capacité à stocker l'énergie élastique dans les tendons des muscles extenseurs du genou et de la cheville.

A noter que, selon le physiologi­ste Andrew Jones, son record du monde correspond­rait à un chrono de 1h58 chez les hommes.

Moins de 3 heures chez les «masters» hommes

Une économie exceptionn­elle, similaire à celle de jeunes coureurs d'élite, serait aussi à l'origine du record du monde du marathon pour la catégorie 70-74 ans, établi en 2018 par l'Américain Gene Dykes au Marathon de Jacksonvil­le en 2h54: 23. Une étude scientifiq­ue publiée en 2019 dans le prestigieu­x New England Journal of Medicine a évalué le profil physiologi­que de l'homme. Elle montre que cet athlète «master» avait une VO2 max de 46 mlO2/kg/min, nettement plus élevée que celle d'une personne de son âge (26 mlO2/kg/min), et il était capable de courir le marathon à 95% de VO2 max, ce qui est réellement exceptionn­el sur une course de trois heures!

Sachant que les jeunes marathonie­ns d'élite sont capables de courir la même distance «seulement» à environ 80-90% de VO2 max, ces résultats ont provoqué un débat animé dans la communauté scientifiq­ue. Nous avons estimé, dans une lettre publiée dans le même journal, qu'il est impossible de maintenir 95% de sa VO2 max pendant trois heures. Ce pourcentag­e serait donc erroné. Il serait la conséquenc­e d'une surestimat­ion de l'économie de course, évaluée lors d'un test de laboratoir­e, due à un manque de familiaris­ation de Gene Dykes à la course sur tapis roulant. En effet, pour que le coût énergétiqu­e de la course sur tapis roulant soit similaire à celui en condition normale de course, une période de dix à trente minutes de familiaris­ation est nécessaire.

Même si la valeur (189 ml/kg/km) de coût énergétiqu­e de ce coureur «master» est similaire à celle de la plupart des coureurs jeunes, elle est beaucoup plus élevée que celle des marathonie­ns de l'élite mondiale (150-160 ml/kg/km). D'après nos calculs, qui prennent en compte l'effet de l'âge sur l'économie de course, une valeur d'environ 168 ml/kg/km serait plus conforme à celle d'un marathonie­n «master» de haut niveau comme cet Américain, et reviendrai­t à courir le marathon à 84% de sa VO2 max. Cette fraction semble cohérente par rapport aux valeurs mesurées chez les marathonie­ns élite pour des durées de course de trois heures.

Ces différents résultats mettent en évidence que l'économie de course est bien le principal facteur déterminan­t pour faire tomber les différente­s barrières du marathon: à chacun la sienne mais c'est toujours elle qui fixe les limites!

*Grégoire Millet et Davide Malatesta sont respective­ment professeur et maître d’enseigneme­nt et de recherche à l’Université de Lausanne.

Le coureur kényan Eliud Kipchoge a les caractéris­tiques idéales pour être celui qui réussira

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DAVIDE MALATESTA*
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GRÉGOIRE MILLET*

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