Le Temps

«Nous sommes des produits dérivés de Tiger»

Ryder Cup 2012, US Open 2013, titre olympique à Rio: l’Anglais Justin Rose, actuel cinquième meilleur joueur du monde, raconte les moments forts de sa carrière, vus de l’intérieur

- PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Justin Rose a fait son entrée dans l’élite mondiale à l’âge de 17 ans, en terminant quatrième du British Open 1998, alors qu’il était encore amateur. Après des débuts difficiles (il a raté le cut lors de ses 21 premiers tournois profession­nels), l’Anglais – rencontré grâce à l’horloger Hublot – a progressiv­ement gravi les marches vers le sommet du golf mondial, jusqu’à devenir numéro un en 2018. Il raconte comment.

Lors de la Ryder Cup 2012, alors que l’Europe était largement menée le dimanche, vous avez remporté une victoire mémorable contre Phil Mickelson. Comment avez-vous abordé cette partie? Le samedi après-midi, alors que l’Europe était menée 10-4, nous savions que, si nous perdions un des deux matchs restants, nous n’aurions aucune chance de conserver la Ryder Cup. Mais nous avons gagné ces deux matchs. A 10-6, il restait toujours une montagne à gravir, mais nous sentions que nous avions une chance. Surtout, nous savions que chacun devait remporter son match, que nous ne pouvions pas nous reposer sur les coéquipier­s. Cela m’a placé dans un bon état d’esprit contre Phil Mickelson.

A quoi pensiez-vous en allant vers le premier départ? J’avais battu Phil à la Ryder Cup 2008 et je savais qu’il allait vouloir se venger. Avec Phil, on s’attend à ce qu’il rate au moins un drive, mais ça n’a pas été le cas ce jour-là. J’étais one down avec trois trous à jouer [mené d’un point, chaque trou valant un point]. Au

16, Phil a rentré un très bon putt. J’avais environ

3 mètres pour partager le trou. Si je le ratais, je ne pouvais plus gagner la partie. Mais je l’ai rentré.

Comment avez-vous joué le 17, un par 3 de 176 mètres, par-dessus un lac, avec le drapeau placé tout à droite ce jour-là? Après le 16, je me suis d’abord encouragé pour partager ce match [faire match nul], puis je me suis dit: «Je vais gagner, reste agressif, reste agressif!» Je me suis poussé à trouver quelque chose. Sur le 17, Phil a raté le green. J’ai joué prudemment, sur le côté gauche du green. Je n’oublierai jamais ce putt. J’ai beaucoup visualisé la trajectoir­e, en imaginant comment la balle allait rouler si je jouais à tel ou tel endroit.

Votre adversaire a joué son deuxième coup avant vous. Son approche a filé vers le trou, Mickelson a commencé à courir, bras levé, puis la balle a frôlé le trou. Comment avez-vous vécu ce moment? La foule, déjà largement en faveur de l’équipe américaine, est devenue folle. Les joueurs de l’équipe américaine se tapaient dans les mains. Puis j’ai rentré mon putt, ce qui m’a permis d’égaliser dans le match.

Qu’avez-vous ressenti? J’ai eu envie de courir autour du green, de me jeter dans le lac. Mais j’ai eu un geste de célébratio­n très calme, en signe de défiance. Je me suis dit que ce putt ne signifiait rien à moins que je remporte le 18. Puis j’ai marché vers le départ suivant aussi lentement que possible.

Après ce putt, pensiez-vous avoir un avantage mental sur votre adversaire? Pas vraiment, je ne pensais qu’à bien jouer le 18. Avec son deuxième coup, Phil a dépassé le drapeau et s’est retrouvé en dehors du green. J’étais à environ 3 mètres du trou après mon deuxième coup. Tout le monde me parle du putt au 17, mais le putt le plus important était celui du 18. Pour fermer la porte et gagner le match. Phil s’était placé à environ 2 m 50 avec son troisième coup et nous étions sur la même ligne. Je savais qu’en ayant vu mon putt, il rentrerait le sien. Je devais rentrer le mien. Que ressent-on lorsqu’on gagne un tel match? Après mon putt, je me suis tourné vers mes coéquipier­s, qui étaient derrière moi, avec l’intention de me jeter sur eux. Mais Phil s’était placé derrière moi pour observer la ligne du putt. Je l’ai donc salué en premier, je voulais être courtois envers ce grand champion. Il m’avait félicité après mon putt au 17, nous avions joué dans le bon état d’esprit. L’année suivante, vous battez de nouveau Mickelson le dimanche de l’US Open, pour remporter votre premier titre en Grand Chelem sur un parcours de Merion extrêmemen­t difficile. Comment vous êtes-vous préparé? J’ai fait toute ma préparatio­n la semaine précédente, avant tout le monde. J’ai défini ma stratégie pour jouer autour du par, souvent le score gagnant à l’US Open, puis je me suis reposé. Les autres joueurs sont allés se préparer à Merion et il a beaucoup plu. Les commentate­urs prévoyaien­t que le score gagnant serait -10. Mais je n’ai pas changé ma stratégie. Le parcours a posé beaucoup de problèmes à tout le monde. Les joueurs ont enregistré des bogeys en début de tournoi puis ils ont joué de manière plus agressive, ce qui leur a apporté encore plus d’ennuis. Je me suis tenu à ma stratégie conservatr­ice, en restant patient, et j’ai gagné en +1.

Comment avez-vous géré la pression ce jour-là? Pendant ce tournoi, j’avais en tête l’image d’un tunnel, avec de vieux murs, des colonnes, comme dans une vieille église. Je me disais que le bon golf existait dans ce tunnel. Tout le reste, le leaderboar­d, les médias, les spectateur­s, demeurait en dehors. J’ai essayé ne pas y prêter attention, de garder une approche très simple.

Etes-vous parfois nerveux sur le parcours? Bien sûr. La semaine de l’US Open 2013, j’avais 33 ans, j’étais classé cinquième mondial, je me suis dit que j’allais jouer la victoire dans de nombreux tournois majeurs jusqu’à mes 40 ans. Que je gagnerais des Majeurs et que j’en perdrais aussi. Donc quand le moment est arrivé de pouvoir gagner le premier, je me suis attaché à jouer de manière aussi libre que possible, à ne pas essayer de sur-contrôler la situation. Ça m’a aidé lorsque j’ai raté un putt au trou No 16 le dimanche. Je n’ai pas paniqué, j’ai continué à jouer. Dans ma tête, le 72e trou n’était pas la ligne d’arrivée. Je faisais comme si j’allais devoir jouer un play-off.

Pour le retour du golf aux Jeux olympiques, en 2016 à Rio, de nombreuses stars n’ont pas participé, par peur du virus Zika. Pourquoi y êtesvous allé? Pour représente­r mon pays, aller au village olympique. Je n’ai pas accordé beaucoup d’importance à l’histoire du Zika. J’ai vraiment apprécié de faire partie de l’équipe de Grande-Bretagne. Je suis allé voir l’équipe d’athlétisme avec ma femme. Ces athlètes s’entraînent pendant quatre ans pour les JO et leur compétitio­n se déroule dans un chaos complet, avec d’autres sportifs partout, de la musique, les entraîneur­s. Et au milieu de tout ça, les sauteurs à la perche se lancent, totalement concentrés. Alors que nous, les golfeurs, nous voulons un environnem­ent parfait. J’ai compris que nous étions trop gâtés. Cela m’a aidé car les spectateur­s à Rio ne connaissai­ent pas le golf. Ils ne savaient pas qu’il est interdit de prendre des photos ou de se déplacer lorsque quelqu’un joue. Je me suis mis dans la peau du sauteur à la perche.

A l’automne 2018, vous êtes devenu numéro un mondial. Etait-ce un objectif ? Mon rêve a toujours été de gagner des tournois du Grand Chelem, pas de devenir numéro un mondial. Ironiqueme­nt, je le suis devenu après avoir perdu un tournoi en play-off, ce qui a un peu gâché mon plaisir. Puis je suis resté numéro un pendant une semaine et Dustin Johnson a repris la place. Je n’ai pas vraiment eu le temps de savourer. Je suis redevenu numéro un au cours des mois suivants, plusieurs fois, jusqu’en avril. Ma victoire la plus importante a eu lieu début 2019. J’ai joué à San Diego en tant que numéro un mondial et j’ai gagné le tournoi.

Qu’est-ce que ça fait de jouer à une époque où quatre ou cinq joueurs – vous, Rory McIlroy, Brooks Koepka, Dustin Johnson – sont au top niveau mondial et peuvent remporter les gros tournois, par opposition aux années où Tiger Woods dominait sans partage? C’est une super bataille, nous sommes tous des produits dérivés de Tiger. Notre façon de jouer, ce dont nous nous croyons capables vient de ce que nous avons vu Tiger réaliser à la télévision. Le jeu est devenu plus athlétique, plus agressif. Si vous ne trouvez pas le 1% supplément­aire, quelqu’un d’autre le trouvera.

«J’ai eu envie de courir autour du green, de me jeter dans le lac. Mais j’ai eu un geste de célébratio­n très calme»

JUSTIN ROSE, GOLFEUR

En 2018, vous avez remporté la FedEx Cup, qui consacre le meilleur joueur du circuit américain, et empoché un bonus de 10 millions de dollars. Mais tout le monde ne se souvient que de Tiger Woods, qui a gagné le dernier tournoi de la saison. N’est-ce pas un peu frustrant? J’étais heureux pour Tiger, il représente tant pour notre sport. Cela ne m’a pas trop gêné (sourire).n

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(QUALITY SPORT IMAGES/GETTY IMAGES) Justin Rose: «Mon rêve a toujours été de gagner des tournois du Grand Chelem, pas de devenir numéro un mondial.»

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