Le Temps

Entre les Kurdes et Damas, un accord négocié depuis des mois

Les événements se sont précipités dans le nord-est de la Syrie. A peine lancée, l’offensive turque semble arrêtée par l’irruption des troupes syriennes et russes

- LUIS LEMA @luislema

Une semaine à peine s’est écoulée, et la région est déjà méconnaiss­able. Alliances renversées, assaut général sur les villes et conquêtes éclair de territoire­s… Depuis l’annonce de Donald Trump du retrait des troupes américaine­s, suivi par le lancement d’une opération militaire de la Turquie, le nord-est de la Syrie a connu une ahurissant­e accélérati­on des événements. D’ores et déjà, l’existence d’une entité kurde, le Rojava, jouissant d’une très grande autonomie vis-àvis de Damas est devenue de l’histoire ancienne. Les drapeaux syriens se sont mis à flotter dans la région, pour la première fois depuis six ans. Ils sont aujourd’hui accompagné­s de drapeaux russes tout aussi nombreux.

En quête d’alternativ­e

Il y a des mois que les combattant­s kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) savaient à quoi s’en tenir. En décembre dernier, pour la première fois aussi clairement, le président américain avait annoncé son intention de retirer les troupes américaine­s du nord de la Syrie. Les YPG avaient entrepris de négocier avec Damas (via son parrain russe) une alternativ­e au soutien des Etats-Unis. Ainsi, lorsque les troupes turques sont passées à l’offensive, celle-ci n’a suscité pratiqueme­nt aucune réaction de la part des YPG, pourtant des combattant­s aguerris par leur lutte menée contre l’Etat islamique. Selon les comptes rendus de médias kurdes, il a toutefois fallu attendre dimanche pour que l’accord définitif soit enfin trouvé avec Damas. Le temps pressait, et c’est là que les choses se sont encore précipitée­s.

Manbij (où les forces syriennes et russes sont entrées mardi), mais aussi Kobane, Raqqa ou Tabqa, ainsi que, plus à l’Est, Hassakah ou Qamichli… L’avancée de l’armée syrienne est générale. De fait, il suffit à Damas d’envoyer quelques troupes mal équipées. La Turquie ne devrait pas prendre le risque d’une confrontat­ion directe. Il ne reste plus à la Turquie qu’à se contenter d’une petite portion de territoire, entre les villes de Ras al-Aïn et de Tall Abyad. «La Turquie savait que cette avancée aurait lieu après le retrait des Américains. Mais elle voulait aussi sa part du gâteau, analyse Thomas Pierret, chercheur au CNRS et spécialist­e de la région. Or elle ne récolte au mieux que deux petites villes reliées par des plaines désertique­s.»

La milice kurde devrait être officielle­ment dissoute et intégrer le 5e corps de l’armée syrienne, placé sous commandeme­nt russe. «Les YPG vont changer d’uniforme et elles pourront être utilisées comme bon lui semble par la Russie, comme pour mener des opérations contre les milices liées à la Turquie. Ce sera là leur nouvelle vocation.»

Une autonomie culturelle

Et ensuite? Il n’est pas impossible que les YPG soient autorisées à continuer d’administre­r les régions à majorité kurde, mais elles devront sans doute céder la place au gouverneme­nt syrien dans les zones arabes. Des zones conquises par les YPG à la faveur de leurs combats contre l’Etat islamique grâce à l’appui de la coalition internatio­nale menée par les Etats-Unis.

En contrepart­ie, les forces kurdes auraient obtenu l’assurance de bénéficier d’une certaine autonomie dans la Syrie de demain, principale­ment sur le plan culturel. Les négociatio­ns sur l’établissem­ent d’une nouvelle Constituti­on commencero­nt fin octobre à Genève, sous les auspices des Nations unies. Pour autant que l’exercice aboutisse, cette Constituti­on pourrait ainsi offrir, au moins sur le papier, des contours plus fédéralist­es à ce pays dont les pouvoirs sont concentrés dans les mains des élites baassistes.

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