Le Temps

Vandoeuvre­s, une gestion d’un autre siècle

- LAURE LUGON ZUGRAVU @LaureLugon

La Cour des comptes épingle sévèrement la commune genevoise. Manque de clarté dans la gestion des affaires, organisati­on lacunaire, absence de contrôle. Difficile à entendre pour l’exécutif

L’ultime chose que la maire de Vandoeuvre­s, Catherine Kuffer, aura apprise en dix-sept ans de règne sur la cossue commune genevoise, c’est à encaisser. Mardi, elle s’est entendu reprocher de «naviguer à vue», de gérer la commune de manière «chaotique et lacunaire», entre autres admonestat­ions. Elles ne viennent pas de n’importe qui, mais de la Cour des comptes, qui présentait son audit sur la gouvernanc­e de la commune: «Cette affaire est la démonstrat­ion d’un manque de formalisme, d’une manière de gérer à l’ancienne», résume Sophie Forster Carbonnier, magistrate.

En février dernier, Le Temps révélait que l’ancienne comptable de la commune s’était vue payer en treize ans près d’un demi-million d’heures supplément­aires. Assez pour que des voix anonymes dénoncent d’autres opérations supposées frôler le code, sous le double effet de la rumeur et du secret cultivé par les autorités. Après avoir reçu plusieurs communicat­ions citoyennes arguant de dysfonctio­nnements, la Cour décidera d’auditer la commune.

Si elle relève cette affaire d’heures supplément­aires à cause de «montants significat­ifs», elle ne l’a toutefois pas traitée, au motif qu’elle avait déjà été tranchée par le Service des affaires communales. C’est heureux pour l’exécutif, car il se voit épinglé pour tout le reste. Passée au crible, Vandoeuvre­s la belle alanguie se révèle d’une légèreté un peu coupable: flou artistique autour de sa vision pour la législatur­e. Manque de compétence­s techniques des employés, ce qui ouvre la porte aux soupçons d’éventuels liens d’intérêt avec les prestatair­es de biens et services. Manque de contrôle sur les engagement­s contractue­ls et appels d’offres. Défaillanc­e du contrôle interne, absence de hiérarchie au sein de l’administra­tion.

Changement d’époque

Le noeud du problème? Un mélange des genres, avec un exécutif puissant se mêlant d’opérationn­el. Le secrétaire général – celui-là même qui a donné l’alerte quant aux heures supplément­aires de la comptable – aurait dû, par exemple, avoir accès aux salaires des employés, ce qui n’était pas le cas, la comptable n’en référant qu’à la maire. En arrêt maladie depuis un an, il s’est vu signifier cet été son licencieme­nt, contre lequel il a fait recours.

Mais cette histoire dans l’histoire n’est pas du domaine de la Cour, qui s’en tient au problème de fond: «L’exécutif de Vandoeuvre­s est fier d’être dans l’opérationn­el, alors que cela l’empêche d’avoir une vue d’ensemble, explique Sophie Forster Carbonnier. Il met le nez dans toutes les affaires, tout se fait oralement. On a constaté une absence de volonté de réformer, en regard des habitudes prises depuis des années.» Mais n’est-ce pas le lot de toutes les petites communes, où chacun met la main à la pâte, même si ce n’est pas tout à fait régulier? «On peut rencontrer cette même absence de formalisat­ion des procédures dans d’autres communes qui ne se sont pas adaptées au changement d’époque», admet la magistrate.

«En toute bonne foi»

Deux époques, deux visions qui s’affrontent. Sur la sellette, Catherine Kuffer assume la sienne, manifestem­ent heurtée par les termes de la Cour: «Si le fonctionne­ment de l’administra­tion n’était pas formalisé de manière optimale, cela ne signifie pas pour autant que l’exécutif ne suivait aucune procédure. Les processus n’étaient, simplement, pas documentés. Nous ne pouvons accepter de lire que nous avons navigué à vue.» L’exécutif a cependant accepté toutes les recommanda­tions de la Cour. Mais on sent que la maire s’y plie sans être entièremen­t convaincue par la doxa de la gestion moderne: «Ce n’est pas parce que nous avons géré la commune à l’ancienne qu’elle était mal gérée. Nous avons cherché le pragmatism­e et le bon sens, en toute bonne foi, sans jamais rien faire de malhonnête. Puisque je dois sortir de l’opérationn­el, je sortirai et nous progresser­ons dans le sens indiqué, en espérant ne pas créer une usine à gaz…»

Reste à voir si les citoyens et les élus s’accommoder­ont de ces justificat­ions. Conseiller municipal du mouvement Vand’OEuvres pour vous (VOV) et député PLR au Grand Conseil, Philippe Morel le croit: «Je suis étonné par la sévérité du rapport. VOV suspectait des problèmes mais n’avait pas en main les éléments tangibles pour étayer ses soupçons. Maintenant, nous les avons. Mais il faut faire preuve d’indulgence, car malgré ces pratiques d’un autre âge, Vandoeuvre­s fonctionna­it. Il s’agit maintenant de corriger les erreurs.» Cela tombe bien: l’hyperactif docteur Morel se présente à l’exécutif l’an prochain pour succéder à Catherine Kuffer. Pour sa part, celle-ci rêve pour ses derniers mois à l’exécutif que sa commune retrouve sa sérénité perdue.

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